Nous avons fréquemment dans les pages de TangenteX abordé l'étude de l'oscillateur harmonique. Vous en connaissez tous l'équation différentielle \( \ddot{\theta}(t) + \omega^2\theta(t) = 0 \). Je choisis ici la forme linéaire, mais cela n'influe en rien sur la suite du discours.
Cette équation peut représenter la trajectoire du pendule simple. Mais un pendule simple plutôt idéal, vous en conviendrez : tel qu'il est décrit là, il ne s'arrêterait jamais d'osciller. Nulle trace de perte d'énergie dans cette équation et donc oscillation éternelle ! Comme chacun sait, cela n'existe pas et nous allons donc devoir trouver autre chose pour construire un modèle qui décrive un oscillateur réel.
Cette équation possède des caractéristiques qui sont gênantes en considération de la réalité. Par exemple, amusez-vous à transformer t en -t, c'est à dire inverser le temps. Vous constaterez que la solution reste identique : notre équation est invariante au renversement du temps ! Cette invariance caractérise les phénomènes réversibles. On ne les rencontre jamais en réalité, car il y a toujours dissipation d'énergie. Il va donc falloir introduire dans notre modèle un terme qui rende compte de la dissipation d'énergie.
Notez ce point important, fondamental, en physique : un système physique qui dissipe de l'énergie est toujours irréversible. Il en ressort qu'il n'existe pas de système réversible à l'état naturel, la dissipation de l'énergie étant une caractéristique malheureusement incontournable d'un système physique réel.
Autre chose, cette équation est linéaire. Cela signifie que si une fonction f(t) est solution de notre équation, alors la fonction a*f(t), avec a un réel quelconque, est aussi solution de cette équation. Le réel a représente dans notre cas l'amplitude de l'oscillation. On parle dans ce cas d'invariance d'échelle. Ce qui est gênant, c'est que cela signifie que notre pendule n'oscille pas avec une amplitude propre, mais avec une amplitude qui dépend des conditions initiales, de la valeur de a à l'origine du temps. Lorsqu'on veut construire un oscillateur, c'est assez ennuyeux : on cherche généralement à déterminer son l'amplitude selon les besoins de l'utilisateur !
Pour résumer, nous devons construire un modèle d'oscillateur dans lequelle on ajoutera un terme de dissipation d'énergie, qui sera non linéaire et qui permettra de fixer l'amplitude des oscillations. Cette dernière exigence signifie qu'il faudra injecter de l'énergie dans l'oscillateur pour compenser l'énergie perdue par dissipation.
Nous avons déjà abordé le concept de trajectoire et de portrait de phase d'un pendule simple, dans la page PenduleScilab ou PenduleMaple. Pour rappel, il s'agit de tracer la courbe de variation de la vitesse angulaire \( \dot{\theta}(t) \) en fonction de \( \theta(t) \).
Traçons la trajectoire de phase d'un pendule simple, en posant \( \omega^2 = 1\), avec le script Python VDPPendule01.py. L'angle initial vaut PI/10. Nous obtenons:
Nous observons plusieurs caractéristiques:
Traçons maintenant son portrait de phase, c'est à dire un ensemble de trajectoires de phase pour des angles initiaux différents. Nous obtenons:
Vous constatez que le portrait de phase du pendule simple est constitué d'un ensemble de cercles concentriques, qui correspondent chacun à un angle initial. On peut interpréter ces différentes trajectoires de phase comme des courbes de niveau énergétique constant. Ces cercles sont concentriques, ce qui est la trace de l'invariance d'échelle due à la linéarité de l'équation.
Nous avons vu que notre modèle du pendule simple présentait une grave incohérence avec la réalité: il décrit un système non dissipatif, invariant par changement de signe du temps. Non dissapation de l'énergie et invariance temporelle sont deux facettes d'un même problème qu'il nous faut résoudre.
Pour rompre l'invariance temporelle dans l'équation du pendule simple, il faudrait, en faisant au plus simple, introduire un terme en dérivée première. Et cela tombe plutôt bien ! En mécanique, la dissipation d'énergie est souvent modélisée par une force de frottement fluide, qui est exprimée proportionnellement à la vitesse, soit précisément un terme en dérivée première. Le monde est bien fait...
En introduisant ce terme, nous obtenons donc une équation de la forme \( \ddot{\theta}(t) + k\dot{\theta}(t) + \omega^2\theta(t) = 0 \), avec k un réel quelconque. Le lecteur attentif aura reconnu l'équation d'un pendule simple amorti. Notre équation est toujours linéaire (elle conserve son invariance d'échelle) mais n'est plus invariante par changement de signe du temps, ce qui est un progrès !
Examinons d'abord le cas où le réel k est positif. Physiquement, cela correspond à une dissipation de l'énergie. On s'attend donc à ce que notre pendule n'oscille plus indéfiniment, mais qu'il s'arrête au bout d'un temps dépendant de k. On s'attend aussi à ce que sa trajectoire de phase ne soit pas fermée, et donc que son sens de parcours ne soit pas indifférent.
Voici la solution de notre équation pour un angle initial de PI/10 et d'un facteur d'amortissement k = 0.15, et sa trajectoire de phase, tracées avec le script Python VDPPendule03.py :
L'amplitude de l'oscillation décroît avec le temps, car l'énergie mécanique du pendule diminue et tend vers 0, à cause de la dissipation sous forme d'énergie thermique due aux frottements. La rapidité de cette diminution dépend de la valeur de k.
La trajectoire de phase n'est plus fermée mais tend vers un point qui correspond à l'état stable du pendule. On appelle ce point un attracteur. Pour le pendule simple, cet état correspond à une énergie cinétique nulle (vitesse nulle) et à une énergie potentielle minimale (point de la trajectoire le plus bas).
Le sens de parcours de la courbe n'est plus indifférent. Comme pour tous les systèmes physiques, on part de l'état d'énergie le plus haut, celui du lancement du pendule, vers l'état énergétique le plus bas. Nous avons obtenu un système irréversible, sauf bien sur à lui injecter de l'énergie.
Par curiosité, voyons ce que deviendraient ces courbes, si k était négatif, c'est à dire s'il y avait des frottements "négatifs" autrement dit une amplification du mouvement. Les courbes ci-dessous sont obtenues avec le même script et les mêmes conditions initiales, mais pour k = -0.15 :
Dans ce cas, l'amplitude des oscillations du pendule augmente et sa trajectoire part du point d'énergie le plus bas pour croître de plus en plus le long de la spirale de la trajectoire. Inutile de préciser qu'un tel système n'existe pas dans la nature ! Cependant, lorsqu'on veut construire un oscillateur, on cherche bien ce genre de comportement : faire naître des oscillations à partir d'un état stable. On cherche également à ce que l'amplitude de ces oscillations atteigne une valeur donnée, choisie par le concepteur et non qu'elle diverge, comme on le constate sur la courbe ci-dessus.
Pour construire un oscillateur, nous aboutissons à la conclusion provisoire que le coefficient k devait être négatif, mais qu'il fallait introduire un mécanisme pour limiter les oscillations en amplitude. Cela serait possible en faisant en sorte, par exemple, que le coefficient k change de signe alternativement pour amplifier et atténuer l'amplitude des oscillations.
Le modèle que nous avons utilisé jusqu'à présent est linéaire, c'est à dire que l'amplitude des oscillations est fixée par les conditions initiales et le coefficient K. Il ne peut donc pas convenir à la description d'un oscillateur dont le concepteur voudrait fixer arbitrairement l'amplitude des oscillations.
Nous allons voir comment remplir ces objectifs en construisant un oscillateur dont le modèle sert de base à tous les oscillateurs réels. Il s'agit de l'oscillateur de Van der Pol.
Balthasar Van der Pol (1889 - 1959) était un physicien et ingénieur néérlandais qui travaillait dans les années 1920 - 1930 sur des nouveaux équipements : les tubes à vide, et leurs applications dans une science naissante, l'électronique. Plus précisément, il s'intéressait au comportement d'un tube à vide d'un type particulier, une triode. Van der Pol cherchait à maîtriser les conditions dans lesquelles on pouvait émettre des ondes électromagnétiques à l'aide de circuits oscillants construits autour d'une triode. Ce domaine de recherche était important, en particulier s'agissant de ses applications militaires en matière de radiocommunication.
C'est en juillet 1920 que Van der Pol achèva la rédaction d'une publication (publiée fin 1920) dans laquelle il décrit le fonctionnement d'un montage articulé autour d'une triode associé à deux circuits RLC couplés. Il décrit dans ce même article l'équation différentielle de cet oscillateur, équation que nous allons découvrir ci-dessous.
Si l'histoire des oscillateurs non linéaires vous intéresse, je vous recommande la lecture d'un excellent ouvrage, le "Histoire de la théorie des oscillations non linéaires" de Jean-Marc Ginoux, paru chez Hermann (publicité gratuite !). Cet ouvrage décrit de façon détaillée les travaux de Van der Pol (§2.3 et §3.2) ainsi que la démarche pour aboutir à son équation différentielle, démarche que je ne reprendrai pas ici.
Van der Pol est parti du constat que nous avons fait précédement dans notre étude de l'oscillateur amorti : il faudrait que le coefficient k soit négatif mais que l'on arrive à limiter à une valeur donnée l'amplitude des oscillations. Dans son article de 1920, il appelle notre k \(\alpha\) et j'adopterai donc sa dénomination. Il appelait son coefficient \(\alpha\) une "résistance négative", ce qui est assez imagé.
La notion de résistance négative peut surprendre, elle est de fait assez étrange ! Cette notion est apparue bien avant Van der Pol, puisqu'on la doit à Hans Luggin en 1888, qui travaillait sur la physique de l'arc électrique. Il constata, en traçant la caractéristique électrique d'un arc, qu'apparaissait un couple courant/tension qui ne respectait pas la loi d'Ohm mais présentait une pente négative, une "résistance négative". Notez cependant que le terme "résistance négative", consacré par l'usage, est un abus de langage. Il décrit un comportement physique analogue à celui d'une résistance, sans pour autant être une résistance réelle, au sens physique du terme. Enfin, signalons que certains semi-conducteurs, les diodes à effet tunnel, possèdent un comportement analogue et que dans ce cas, l'abus de langage est bien moindre !
Pour limiter l'amplitude des oscillations, Van der Pol eut l'idée de transformer ce coefficient (ou résistance négative) constant en une fonction de l'amplitude. Le principe était que si l'amplitude augmentait, le coefficient augmentait pour diminuer l'amplitude et que si l'amplitude diminuait alors le coefficient diminuait aussi, pour augmenter l'amplitude. Physiquement, il a obtenu un tel comportement en couplant par leur inductance deux circuits RLC.
A partir de son schéma, Van der Pol obtint une équation différentielle de modélisation, en appliquant les lois des mailles et celles du comportement d'un circuit RLC. Son équation brute est de la forme \( \ddot{x}(t) + (\alpha -3\gamma x^2(t))\dot{x}(t) + \omega^2 x(t) = 0 \), avec \( \gamma \) une constante du circuit. Ici, la variable x(t) a la dimension d'une différence de potentiel, et joue le même rôle que l'angle dans l'équation de notre pendule amorti.
Cette équation n'est pas adimensionnée, ce qui est gênant pour l'étude d'un modèle. Van der Pol proposa sa forme adimensionnée en 1926, en utilisant une méthode proposée par Pierre Curie en 1891. Sa forme adimensionnée que nous allons étudier est :
\( \ddot{x}(t) + \epsilon (1 - x^2(t))\dot{x}(t) + x(t) = 0 \)
avec \( \epsilon\) un paramètre unique de ce que l'on appelle "l'équation de Van der Pol".
Vous trouverez dans la littérature plusieurs formes de cette équation, mais qui se ramènent toutes à cette forme originale par un changement de variable approprié.
L'équation de Van der Pol n'a pas de solution analytique. Nous allons donc intégrer cette équation différentielle numériquement en utilisant la fonction odeint() de Python, comme dans les scripts précédents.
Le script Python VDPEquation1.py permet de tracer la solution et la trajectoire de phase de l'oscillateur de Van de Pol en foncton des conditions initiales (x0,v0) et de la valeur du coefficient \( \epsilon \). Pour examiner le comportement de cet oscillateur, j'ai procédé à plusieurs essais, en faisant varier \(\epsilon\) pour un même couple de conditions initiales, puis en modifiant le couple de conditions initiales pour les mêmes valeurs de \(\epsilon\). L'objectif de ces manipulations est de vérifier la sensibilité aux conditions initiales de l'oscillateur et donc la rupture de l'invariance de dilatation.
Vous avez sans doute remarqué que dans tous les essais, quelque soit la valeur de \( \epsilon\) ou des conditions initiales, l'amplitude des oscillations en régime permanent variait entre -2 et 2. Rien dans l'équation adimensionnée proposée ne laisse deviner cette valeur ! D'où vient-elle ?
Précisément, elle vient des changements de variables effectués pour adimensionner l'équation d'origine de Van der Pol, celle tirée de son modèle d'oscillateur à triode que j'ai rappelé plus haut.
Comparons les deux équations \( \ddot{x}(t) + (\alpha -3\gamma x^2(t))\dot{x}(t) + \omega^2 x(t) = 0 \) et \( \ddot{x}(t) + \epsilon (1 - x^2(t))\dot{x}(t) + x(t) = 0 \). Une simple identification terme à terme permet d'établir que \( \alpha = \epsilon\) et que \( 3\gamma = \epsilon\). Sachant que dans le modèle d'oscillateur considéré, l'amplitude des oscillations est égale à \( \sqrt(\frac{4\alpha}{3\gamma})\), il vient naturellement que l'amplitude sera égale à \( \sqrt(\frac{4\epsilon}{\epsilon})\) soit 2.
Pour la petite histoire, il est amusant de savoir que Lord Rayleigh, Nobel de physique 1904, avait calculé cette valeur en 1883, sur des considérations purement théoriques, les oscillateurs à triode n'existant pas à l'époque !
Comparez la forme des oscillations pour les différentes valeurs \( \epsilon \), vous noterez les différents types qui ont été identifiés par Curie (1891) et par Van der Pol (1926):
Contrairement à la trajectoire de phase d'un pendule, vous avez remarqué que la trajectoire de phase d'un oscillateur de Van der Pol tend vers un cycle limite, cette figure que forme la trajectoire de phase quand t tend vers l'infini. L'existence de ce cycle limite est le signe, d'après Poincaré, de la non-linéarité de l'EDO et de la stabilité du système dynamique. Son existence prouve aussi que notre EDO n'a plus d'invariance d'échelle.
La valeur du paramètre \(\epsilon\) conditionne fortement l'aspect du cycle limite. Pour les valeurs faibles de \(\epsilon\), la trajectoire de phase tend vers un cycle limite elliptique que l'on distingue très nettement.
On s'aperçoit néanmoins que ce cycle limite se déforme de plus en plus à mesure de l'augmentation de \(\epsilon\). Ce phénomène traduit une non linéarité croissante de l'équation de Van der Pol, dépendante de la valeur de \(\epsilon\).
Vous remarquerez également que l'amplitude du signal atteint sa valeur caractéristique en même temps que la trajectoire de phase atteint le cycle limite.
Notre objectif était d'obtenir un modèle d'oscillateur dont le comportement ne soit pas piloté par les conditions initiales. Objectif atteint ! Vous pouvez constater que le comportement de notre modèle ne différe pas en régime permanent, pour les deux couples de conditions initiales que nous avons testés, tant en ce qui concerne la période du signal que son amplitude. Seul différe le temps mis pour atteindre le régime permanent stable. Les caractéristiques de l'oscillateur sont toutes conditionnées par des paramètres de construction de l'oscillateur, ce qui est bien le but recherché.
Sur TangenteX, nous faisons de la physique numérique, c'est à dire que nous avons une forte tendance à simuler avec un ordinateur ! Il est cependant possible d'étudier l'oscillateur de Van der Pol expérimentalement. Bien sur, il serait un peu difficile, mais pas impossible, de reproduire l'oscillateur à triode. On trouve encore quelques tubes pour construire des amplis haut de gamme mais peu de triodes ! Heureusement, la littérature moderne comprend beaucoup de réalisations d'oscillateurs VdP construits avec des ampli op de type uA741 ou plus moderne. Il est donc assez facile de se construire un oscillateur VdP et de tester son comportement avec un simple oscilloscope. Physiciens en devenir, à vos paillases et vos fers à souder!
Un point important reste à mentionner : vous aurez noté que le second membre de l'équation de VdP est nul : il n'y a pas d'excitation de l'oscillateur par un signal externe. Et pourtant, il oscille tout seul ad vitam eternam. Il n'y a pas de secret, ni de violation des lois de la physique. L'énergie est apportée dans le montage réel par des batteries et dans le modèle par le concept de "résistance négative". L'oscillateur de Van der Pol fait partie de la classe des oscillateurs auto-entretenus.
Il est bien sur possible de l'exciter par un signal externe, et c'est là source de comportements très intéressants puisque chaotiques ! Mais c'est une autre histoire !
Les scripts Python étudiés dans cette page sont disponibles dans le package VDPPython.zip :
L'étude de l'oscillateur de Van der Pol, dans ses aspects mathématique, physique et pratique, est une excellente introduction à celle des systèmes dynamiques non linéaires et chaotiques. Dans cette page, nous n'avons qu'effleuré le sujet, comme d'habitude ! Je vous invite à l'approfondir et à l'étendre vers l'analyse des systèmes dynamiques en abordant l'oeuvre de Poincaré. Avec un peu de courage, elle est accessible aux élèves de MP.
L'étude des oscillateurs réels, comme celui de Van der Pol, et plus généralement celle des systèmes dynamiques serait impossible sans les outils de la physique numérique. Vous avez en effet observé que les EDO que l'on y rencontre ne sont généralement pas intégrables analytiquement. Et lorsqu'on voit les efforts de nos anciens pour analyser ces équations par les méthodes graphiques, on respire d'aise devant notre Spyder Python ou notre Maple !
Enfin, je vous invite à lire l'histoire de la théorie des systèmes oscillants électroniques, et celle de la radiotélégraphie. Vous y retrouverez beaucoup d'anciens de l'X : Poincaré, Blondel, Ferrié, Liénard et quelques normaliens (Ulm) comme Janet et Abraham. Le développement de la TSF (téléphonie sans fil) leur est grandement redevable.
Contenu et design par Dominique Lefebvre - tangenteX.com décembre 2015 -- Vous pouvez me joindre par ou sur PhysiqueX
Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 3.0 France .