Dans le programme de physique du lycée, lorsqu'on aborde l'interaction gravitationnelle, la définition précise très généralement que cette attraction s'exerce entre deux (ou plusieurs) corps ponctuels. Même affirmation, sans explication, dans les exercices et problèmes. Quelques rares fois, en prépa et dans les problèmes de concours, l'énoncé précise que les corps en question présentent une symétrie sphérique. Soit, mais je n'ai trouvé aucun bouquin qui explique pourquoi cette hypothèse...
Existe-t-il des élèves curieux qui se sont demandés pourquoi, du point de vue gravitationnel, la Terre pouvait être considérée comme ponctuelle ? Et que vient faire ici la symétrie sphérique?
L'objet de cette page est de tenter de répondre à cette question. Je vais être conduit à introduire quelques notions nouvelles, mais qui, j'en suis persuadé, sont tout à fait à la portée d'élèves de lycée motivés.
Comment le corps A peut-il bien exercer une force attractive, à distance, sur le corps B ? Par quoi la force que A exerce sur B (et réciproquement) est-elle portée ? Est-elle instantanée ?
C'est Newton qui introduisit la notion d'action à distance d'une force, sans que cela ne lui plaise beaucoup. Dans une lettre à Bentley, il parlait "d'absurdité"! Pour lui, cette force agissait instantanément sur les objets.
Faraday, en étudiant le comportement des aimants et des circuits électriques, s'aperçut qu'il existait "quelque chose" entre deux objets qui interagissent. Les "lignes de force" magnétiques, nos lignes de champ, autour d'un aimant l'intriguaient. Le voisinage d'un aimant possèdait donc une propriété physique en tout point du voisinage, que Faraday ne savait pas décrire mathématiquement mais qu'il constatait expérimentalement.
C'est Maxwell qui formalisa le concept de champ physique, en particulier celui de champ électromagnétique, et Hertz qui lui donna la formalisation différentielle qu'on utilise aujourd'hui. Ses quatres équations définissent entièrement l'existence du champ électromagnétique, en présence ou non de charges électriques. Ses équations mettent en évidence deux caractéristiques fondamentales d'un champ:
Enfin, Einstein étendit la notion de champ de gravitation par sa théorie de la relativité générale. Il découvrit que les ondes gravitationnelles (non encore exhibées expérimentalement) se propagent elles aussi à la vitesse de la lumière.
Ainsi, le mystère de l'action à distance s'éclaircit : il s'agit d'une variation dans le temps et l'espace d'une grandeur portée par un objet physique, qui se propage dans l'espace à une vitesse finie.
En résumé, un champ est donc un objet physique, décrit par une application qui fait correspondre une grandeur à tout point de l'espace. Cette grandeur peut être scalaire (un réel) comme une température ou une pression: on aura dans ce cas un champ scalaire. Mais elle peut être vectorielle (avec un vecteur dans \(\mathbb{R}^2\) ou plus), comme pour le champ électrostatique ou gravitationnel.
Voyons le cas plus particulier du champ gravitationnel. Pour fixer les idées, traçons la Terre, munie en son centre O d'un répère orthonormé Oxyz comme sur le schéma ci-dessous. Je n'ai pas représenté les vecteurs unitaires sur les axes pour ne pas surcharger le schéma. Fixons un point M quelconque à distance r du centre de la Terre. Traçons l'axe OM, que nous munirons d'un vecteur unitaire \( \vec{e}_r \), dirigé vers l'extérieur de la Terre.
Le champ gravitationnel créé par la Terre, que l'on note \( \vec{G} \), associe à chaque point de l'espace, et donc à M, un vecteur \( \vec{G} \). Ce vecteur est porté par l'axe OM. Il est orienté vers O, car la gravitation est une force attractive. Il vaut \( -\frac{GM}{r^2} \), avec G la constante de gravitation universelle, M, la masse de la Terre et r la distance entre le centre de la Terre et le point M.
A ce propos, une petite mise en garde: ne confondez pas champ de gravitation et champ de pesanteur. On peut les identifier localement dans des conditions que je vous invite à méditer, mais avec prudence et en le précisant toujours.
La notion de flux est relativement intuitive. On entend parler de flux de matière ou d'argent, de flux de personnes et de bien d'autres choses en économie, en géographie et autres disciplines. Pour nos besoins, je vais préciser la notion de flux en physique et plus particulièrement de flux de vecteur. Pour illustrer cette notion, je vais me servir d'un exemple très classique.
Imaginons un tuyau d'arrosage de section S, dans lequel s'écoule de l'eau à une vitesse constante v. L'écoulement se produit sans aucune turbulence.
Supposons que je veuille calculer le débit volumique d'eau, soit le volume écoulé par unité de temps. Connaissant la vitesse de l'eau et la section S du tuyau, le volume qui s'écoule pendant une seconde s'obtient très facilement : on V = vS. Je rappelle que la surface S ici représente la section du tuyau, c'est à dire que cette surface est perpendiculaire à l'écoulement de l'eau. Pour les besoins du calcul, je vais orienter cette surface, c'est à dire que je vais la doter d'un vecteur unitaire, que je vais appeler \( \vec{n} \). Comme l'eau sort du tuyau, je vais diriger \( \vec{n} \) vers l'extérieur. Par définition, le vecteur \( \vec{n} \) est normal à la surface. Cela nous donne donc la représentation suivante:
Supposons maintenant que je choisisse de calculer le débit non plus sur la section du tuyau, mais sur une surface S' non perpendiculaire à l'axe du tuyau, comme l'indique le schéma suivant:
Bien sur le débit n'aura pas changé et donc j'aurai toujours \( V = vS = vS' \). Nous observons que \( S' = S \cos \theta \) et donc que l'on a \( V = vS \cos \theta \).
Cette forme ne vous rappelle-t-elle rien ? Un produit scalaire de deux vecteurs bien sur, ici le vecteur vitesse de l'eau \( \vec{v} \) et le vecteur représentant la surface orientée \( S\vec{n} \). Je peux donc écrire \( V = \vec{v}.S\vec{n} \).
Nous venons de calculer la quantité d'eau qui est passée à travers une surface, ici la section du tuyau. C'est l'origine de la définition du flux, grandeur qui a été inventée par les hydrodynamiciens.
Puis la notion de flux a été généralisée, pour l'étendre à n'importe quel vecteur qui représente le transport de quelque chose par l'intermédiaire d'un champ. Dans sa forme générale, le flux du vecteur \( \vec{V} \) à travers la surface quelconque S, qu'on désigne classiquement par la lettre \( \Phi \), s'écrit \( \Phi = \iint\limits_{(S)} \vec{V}.\vec{n}.dS \)
Le théorème de Gauss est caractéristique des lois d'interaction en \( \frac{1}{r^2} \), ce qui est le cas de l'interaction gravitationnelle. On s'intéressera donc ici au théorème de Gauss appliqué au champ gravitationnel. Je ne vous donnerai pas sa démonstration, mais seulement son énoncé pour un champ gravitationnel qui nous sera très utile dans la suite.
Revenons donc à notre Terre, que je vais considérer comme une boule homogène de rayon R, c'est à dire que sa masse volumique \( \rho \) est constante dans tout son volume. Je vais envelopper la Terre par une sphère de rayon r, rayon que je vais pour le moment considérer comme supérieur au rayon R de la Terre. Bien sur, vous ne confondez pas sphère (une surface) et boule (un volume) ! Visualisons ça sur un schéma:
Le théorème de Gauss utilise la notion de flux du champ gravitationnel \( \vec{G} \) à travers une surface fermée, que l'on appelle surface de Gauss. Cette surface est quelconque pourvu qu'elle soit fermée. Quitte à faire un choix de surface, je la choisirai donc sphérique, ce qui facilite grandement les calculs.
Le théorème de Gauss nous affirme que le flux du vecteur \( \vec{G} \) à travers notre sphère S est proportionnel à la masse du volume V de matière enfermée dans la sphère. Le facteur de proportionnalité est \( -4 \pi G \). Ce que nous allons écrire, avec les notations ci-dessus \( \iint\limits_{(S)} \vec{G}.\vec{n}.dS = - 4 \pi G \iiint\limits_{(V)} \rho d\tau \)
Avec notre hypothèse d'homogénéité de la Terre et comme r > R, nous pouvons simplifer : l'intégrale de volume \( \iiint\limits_{(V)} \rho d\tau \) équivaut à la masse M de la Terre, car nous avons considéré que \( \rho \) était constante.
Ce qui nous donne finalement l'expression du théorème de Gauss pour le champ gravitationnel : \( \iint\limits_{(S)} \vec{G}.\vec{n} dS = - 4 \pi G M \)
Vous verrez plus tard en prépa ou à la fac, des applications plus générales du théorème de Gauss, en particulier en électromagnétisme, et aussi sa démonstration qui n'est pas très compliquée. Pour l'heure, son énoncé nous suffit et nous n'allons pas tarder à l'utiliser!
Voilà, nous avons maintenant tous les outils pour répondre à notre question : la Terre peut-elle être considérée comme une masse ponctuelle dans les problèmes classiques?
Voyons le raisonnement. Il est assez simple si l'on utilise le théorème de Gauss.
Reprenons l'énoncé général du théorème de Gauss pour le champ gravitationnel, avec nos notations: \( \iint\limits_{(S)} \vec{G}.\vec{n} dS = - 4 \pi G \iiint\limits_{(V)} \rho d\tau \)
Le membre de gauche de l'équation représente le flux du champ gravitationnel qui passe à travers la surface fermée S. Le membre de droite est proportionnel à la masse contenue dans le volume V fermé par la surface S.
Le calcul du membre de droite de l'équation est, nous l'avons vu, simple avec les hypothèses faites : la Terre est une boule homogène et la sphère S de rayon r > R englobe toute la Terre. Ce qui fait que le membre de droite vaut \( - 4 \pi G M \).
C'est pour calculer le membre de gauche, que nous allons introduire l'hypothèse de la symétrie sphérique. Si l'on suppose que la Terre présente une symétrie sphérique, alors le vecteur \( \vec{G} \) est radial et sa norme ne dépend que de r. Je le note donc \( \vec{G}(r) \).
L'expression du flux de \( \vec{G} \) à travers la sphère S devient donc \( \iint\limits_{(S)} \vec{G}(r).\vec{n} dS \) ou encore \( \vec{G}(r).\vec{n}\iint\limits_{(S)}dS \), en remarquant que le produit scalaire ne dépend pas la variable d'intégration dS.
Le calcul de la surface d'une sphère est trivial (je l'espère !), le produit scalaire vaut G(r) et donc le membre de gauche vaut finalement \( G(r) 4 \pi r^2 \).
En égalant les deux membres, on obtient \( G(r) 4 \pi r^2 = -4\pi G M \) soit \( G(r) = -\frac{GM}{r^2} \).
Nous venons de montrer que l'expression du champ de gravitation \( \vec{G} \) créé par la Terre est celle d'un champ créé par une masse M située au point O, centre de la Terre. Nous pouvons donc considérer la Terre comme une masse ponctuelle. Mais attention de ne pas oublier les hypothèses qui nous ont permis de faire le calcul: nous avons considéré que la Terre possèdait une symétrie sphérique et qu'elle était un solide homogène. Sans ces hypothèses, le calcul est bien plus difficile et l'affirmation fausse.
Puisque nous disposons maintenant de l'outil puissant qu'est le théorème de Gauss, nous pouvons aller un peu plus loin. Nous avons vu qu'en un point situé en dehors de la Terre (r > R), celle-ci peut être considérée comme une masse ponctuelle du point de vue gravitationnel. Mais qu'en est-il pour un point situé à l'intérieur de la Terre ? Comment évolue le champ de gravitation créé par la Terre en un point r <= R ?
Il faut faire ici appel au théorème de Gauss et à un peu de raisonnement physique. Nous reprendrons les hypothèses précédentes d'homogénéité et de symétrie sphérique de la Terre. Un petit schéma pour visauliser tout ça :
Notre surface de Gauss sphérique n'enferme plus la totalité de la Terre, mais seulement la boule de rayon r, inférieur au rayon R de la Terre. Le théorème de Gauss ne s'applique donc plus qu'à ce volume V' d'une masse \( m = \frac{4}{3} \pi r^3 \rho \). Physiquement, cela revient à dire que la partie de la Terre hors de la surface de Gauss ne contribue plus au champ gravitationnel. En fait, cette partie y contribue toujours mais la symétrie sphérique fait que le champ créé par chaque volume élémentaire est compensé par le champ par le volume opposé et donc le champ global créé par ces volumes opposés est nul.
Reprenons l'égalité que nous avons écrite plus haut, en modifiant le membre de droite, qui sera la masse m des volumes élémentaires situés entre O et r, soit \( m = \frac{4}{3} \pi r^3 \rho \). Nous obtenons \( G(r) 4 \pi r^2 = -4 \pi G \frac{4}{3} \pi r^3 \rho \). Pour simplifier, remarquons que \( M = \frac{4}{3} \pi R^3 \rho \), ce qui nous permet d'écrire l'équation \( G(r) = -\frac{GM}{R^3}r \)
Pour résumer:
Pour le plaisir, je vous propose un petit script Python qui va nous fournir la courbe représentative de ce champ. Attention, pensez à décompresser l'archive rar avant de lancer le script.
Voilà ce que cela donne:
Nous observons qu'à l'intérieur de la Terre (ou de toute autre masse à symétrie sphérique et homogène), le champ gravitationnel croit linéairement en valeur absolue avec la distance du centre, jusqu'à sa valeur maximum égale à \( G(r) = \frac{GM}{r^2} \).
Il y a continuité au passage de la sphère limitant la Terre puis le champ décroit en \( \frac{1}{r^2} \), toujours en valeur absolue, lorsque on s'éloigne de la surface de la Terre.
Par cette page, j'ai voulu montrer l'importance des hypothèses que l'on pose, ou que l'on ne pose pas, dans l'étude d'un problème de physique. On me dira qu'oublier l'hypothèse de la symétrie sphérique dans un problème de gravitation au lycée n'a pas beaucoup d'importance. Je ne suis pas d'accord. Il faut apprendre dès le début la rigueur du raisonnement et l'importance de ce qui semble être des détails.
Certaines notions abordées en première et terminale, comme celle de champ devraient être plus approfondies. J'ai rencontré peu d'élèves, même parmi les meilleurs, qui aient bien saisi la notion de champ et son rapport avec l'action des forces à distance.
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