Mardi 6 décembre 2016 matin : un RER provoque la rupture d'une caténaire en gare d'Aulnay-sous-bois sur la ligne B du RER, qui relie Paris Gare du Nord à l'aéroport Roissy Charles de Gaulle, en desservant toute la banlieue nord au passage. 900 000 voyageurs par jour ! Le trafic a été interrompu pendant deux longs jours.
Mercredi 7 décembre 2016 13h20 : le trafic TGV, grandes lignes, TER et RER est totalement interrompu à Paris Gare du Nord, suite à un arrachement de caténaire. Paris-Nord est une des plus grandes gares du monde en termes de trafic...
Tous les mois, pratiquement, des retards de plus ou moins longue durée sont provoqués sur les lignes SNCF par des ruptures de caténaires, ou selon la terminologie délicieuse de la SNCF par "l'interruption de l'alimentation électrique". Quel voyageur habitué des RER, trains de grandes lignes ou TGV n'a-t-il pas subi ces désagréments ?
Mais pourquoi donc les caténaires sont-elles si propices à se rompre ? Voilà qui questionne notre physique !
Pour alimenter en électricité les moteurs électriques des trains, dans la plupart des cas, un câble est tendu au dessus de la voie. Sur la locomotive est déployé un mécanisme en forme de trapèze qui appuie sur le câble. Un circuit électrique est formé entre le câble et la voie ferrée relié à la terre. Ce circuit alimente les moteurs.
Le câble en question est notre caténaire et le mécanisme qui capte le courant en appuyant sur la caténaire s'appelle un pantographe. La caténaire est un câble en cuivre pur, de section variable selon le type des trains mais de l'ordre de 100 mm^2, 150 mm^2 sur les voies TGV. Sa section varie bien sur en fonction de l'intensité du courant électrique circulant et donc de la puissance électrique consommée par les moteurs, mais aussi en fonction des contraintes mécaniques imposées par la vitesse des trains. Nous verrons pourquoi plus loin.
Pour que l'alimentation électrique du train soit assurée continuement, il faut bien sur que le pantographe soit en contact permanent avec la caténaire, ce qui n'est pas forcément évident...
Schématiquement, une caténaire est un câble métallique conducteur tendu entre deux poteaux. La tension du câble est assurée par des masses en fonte ou en béton qui pendent de part et d'autre des poteaux porteurs. Evidement, des dispositifs spéciaux isolent la caténaire sous tension électrique des équipements de tension mécanique. Sur sa longueur, la caténaire est fixée à un câble porteur en bronze de section d'environ 65 mm2, à intervalles réguliers à l'aide d'un système d'amortissement.
La distance entre deux poteaux porteurs, qui forment un canton est comprise entre 700 et 1500 m. La distance entre deux points de suspension est comprise entre 50 m 60 m environ, selon le type de voie et les obstacles.
Je vous propose d'abord d'établir le comportement de notre caténaire lorsqu'elle subit une petite perturbation, par exemple le frottement du pantographe. Je vais donc considérer un petit segment de catenaire compris entre les points A et B, comme le montre le schéma ci-dessous :
Pour simplifier le problème, je vais ne considérer que les mouvements verticaux de la caténaire, c'est à dire travailler dans le plan xOy. Nous allons modéliser le mouvement de cette petite perturbation et ses conséquences sur la caténaire.
Au repos, notre caténaire est horizontale, mise sous tension mécanique par des masses comme l'indique le schéma ci-dessus. mais ce n'est qu'une première approximation, dont nous parlerons plus loin. Arrive une perturbation, un petit ébranlement, qui va déformer localement la caténaire. Etudions cette déformation sur un petit élément de la caténaire, entre les points A et B.
C'est un problème de mécanique, et donc tout naturellement, je vais établir le bilan des forces que subit le segment [A,B] puis j'appliquerai le PFD. Le segment de caténaire élémentaire, que je vais appeler ds, entre A et B, est soumis à l'instant t aux forces suivantes :
Je néglige aussi les forces de frottement du pantographe sur la caténaire devant les forces de tension. Autre point important, je considère que nous sommes à température constante. Or, le cuivre, comme tous les métaux, se dilate avec une augmentation de la température. Nous verrons plus loin la conséquence possible.
Comme je ne considère que le mouvement dans le plan xOy, l'application du PFD me donne :
\( dm\frac{\partial^2 y}{\partial t^2} \vec{e}_y = \vec{T}(x+dx,t) - \vec{T}(x,t) \)
Je vais faire un développement d'ordre 1 sur x du terme de droite, ce qui me donne :
\( dm\frac{\partial^2 y}{\partial t^2} \vec{e}_y = \frac{\partial \vec{T}}{\partial x} dx \)
Exprimons la masse élémentaire dm en fonction de dx, en utilisant la masse linéique de la caténaire, du cuivre rappelons le, notée \( \mu \). Pour cela, il faut exprimer l'élement ds en fonction de dx et dy, ce que nous permet Pythagore : \( ds = \sqrt(dx^2 + dy^2) \), ce que je peux écrire, en sortant dx de la racine \( ds = dx\sqrt(1 + (\frac{\partial y}{\partial x})^2 ) \). Et là, j'en reviens à mon hypothèse de petit ébralement, c'est à dire que je considère que \( \frac{\partial y}{\partial x} \ll 1 \), ce qui me permet de simplifier en posant \( ds \approx dx \) et donc \( dm \approx \mu dx \).
Projetons maintenant cette équation vectorielle sur les axes Ox et Oy. Nous obtenons :
\( \frac{\partial T_x}{\partial x} = 0 \), soit \( \frac{\partial T \cos(\alpha(x,t))}{\partial x} = 0 \) sur l'axe Ox
\( \mu dx \frac{\partial^2 y}{\partial t^2} = \frac{\partial T_y}{\partial x} dx \) soit \( \mu\frac{\partial^2 y}{\partial t^2} = \frac{\partial T \sin(\alpha(x,t))}{\partial x} \)
L'angle \( \alpha(x,t) \) est petit car nous avons posé l'hypothèse d'un petite ébranlement, donc on peut faire l'approximation des petits angles, ou plus précisément un développement limité à l'ordre 1 de l'angle, ce qui nous donne \( \cos(\alpha(x,t)) \approx 1 \) et \( \sin(\alpha(x,t)) \approx \alpha(x,t) \). Nous pouvons donc écrire que \( T \cos(\alpha(x,t)) \approx T \) et \( T \sin(\alpha(x,t)) \approx T \alpha(x,t) \). Ce qui simplifie nos deux équations :
\( \frac{\partial T}{\partial x} = 0 \) sur l'axe Ox,
\( \mu\frac{\partial^2 y}{\partial t^2} = \frac{\partial T \alpha(x,t)}{\partial x} \) sur Oy
Notre première équation implique que T est une constante, que je vais noter \(T_0\) et que j'injecterai dans la deuxième équation. Dans la deuxième équation, je reviendrai à l'hypothèse des petits angles et je remarquerai que dans ce cas, avec un DL d'ordre 1 sur \( \alpha \), j'ai \(\alpha(x,t) \approx \tan(\alpha(x,t)) = \frac{\partial y}{\partial x}\). Je peux donc la ré-écrire :
\( \mu\frac{\partial^2 y}{\partial t^2} = \frac{\partial T \alpha(x,t)}{\partial x} = T_0 \frac{\partial \alpha(x,t)}{\partial x} \) ou encore, en remplaçant l'angle par l'expression de sa tangente :
\(\frac{\partial^2 y}{\partial t^2} = \frac{T_0}{\mu} \frac{\partial^2 y}{\partial x^2} \)
En posant \( c^2 = \frac{T_0}{\mu} \), j'ai :
\(\frac{\partial^2 y}{\partial t^2} - c^2 \frac{\partial^2 y}{\partial x^2} = 0 \)
Elle ne vous rappelle rien cette équation ? Il s'agit bien sur de l'équation de D'Alembert, dont j'ai présenté la résolution numérique ici. Le petit ébranlement provoqué par le pantographe provoque donc une onde sur la caténaire, onde qui se déplace avec une célérité \( c= \sqrt(\frac{T_0}{\mu}) \). La célérité de l'onde dépend de la tension de la caténaire et de la masse linéique du cuivre et donc du métal dont est constituée la caténaire.
Nous savons que la solution générale de l'équation de d'Alembert est une superposition de deux fonctions d'onde progressives notées f et g, qui se propagent respectivement dans le sens croissant des x et dans le sens décroissant :
\( y(x,t) = f(x - ct) + g(x + ct) \)
Physiquement, nous sommes donc en présence d'une onde qui parcourt notre caténaire entre deux points de suspension. La fonction g(x,t), qui parcourt la caténaire dans le sens décroissant des x, une onde régressive donc, suppose que l'onde progressive de la fonction f(x,t) soit réfléchie par les points de suspension.
Pour que le pantographe soit en contact permanent avec la caténaire, il faut que la vitesse du train soit inférieure à la célérité de l'onde sur la caténaire. On a vu ci-dessus que celle-ci dépendait de la tension de la caténaire et du métal (de sa masse linéique) dont elle est constituée. Pour augmenter la vitesse maxima possible, il faut soit augmenter la tension, soit changer de métal. Dans le premier cas, on est contraint par la mécanique, dans le second par le coût d'un métal moins dense que le cuivre, mais aussi bon conducteur et avec les mêmes propriétés mécaniques.
Pour éviter les ondes réfléchies et la résonnance, il faut bien choisir la tension et mettre en oeuvres des dispositifs d'amortissement. Si l'on assimile le système de suspension à un amortisseur de coefficient d'amortissement \( \gamma \), on démontre que la tension nécessaire pour éviter les réflexions entre les points de suspension est égale à \( T_0 = \frac{m^2 \gamma^2}{\mu}\), avec m la masse de la caténaire. Voilà une contrainte supplémentaire. Un défaut dans l'amortissement de la fixation entre la caténaire et son câble porteur provoquera une diminution de la tension, donc de la célérité des ondes et finalement de la vitesse max admissible du train.
J'ai négligé le poids de la caténaire. Mais c'est une première approximation. Comme tout câble massif, la caténaire entre deux points de suspension n'est pas horizontale mais forme une chaînette, une courbe en cosinus hyperbolique. La conséquence est que la tension n'est pas constante, égale à T0, mais dépend de x, selon la fonction \( T(x) = T_0 \cosh(\frac{x}{D}) \) avec D une constante égale à \( D = \frac{T_0}{\mu g} \). On retrouve là aussi une dépendance de la nature du métal. La célérité des ondes dépend donc de la position.
La courbure de la chaînette s'accentue si la longueur de la caténaire augmente entre les points de suspension. Cela arrive lorsque la température augmente et que le cuivre se dilate. Aussi, ne soyez pas surpris lorsque la SNCF annonce une réduction de la vitesse des trains lors des canicules !
J'invite ceux qui veulent plus de détails à consulter "Computational Physics 3rd edition" de R.Landau, pages 501-503.
Nous venons de voir que la caténaire ne reste pas immobile au passage d'un train, contrairement à ce que l'on pourrait croire. Mais alors, pourquoi tombe-t-elle ? Il peut y avoir plusieurs raisons :
Pour fixer les idées, sur les lignes modernes de la SNCF (25 kV hors LGV), la tension des caténaires est de l'ordre de 10 000 Newton. Sur une LGV, pour la circulation des TGV à 320 km/h, la caténaire est tendue à 26 000 Newton.
Pour l'anecdote, lorsque les ingénieurs de la SNCF veulent battre un record de vitesse avec un TGV, ils procèdent à une tension des caténaires bien supérieure à la tension nominale. Mais on comprend intuitivement que cette tension est limitée par les contraintes mécaniques qu'elle engendre sur l'ensemble des supports et des câbles. On ne peut pas l'augmenter indéfiniment. La SNCF limite la vitesse du TGV à 97% de la célérité des ondes sur la caténaire, ce qui vous permet de calculer la tension nécessaire. C'est une limite à la vitesse maxima théorique des TGV, avec les limites de l'interface roue/rail. Il reste à inventer un nouveau système d'alimentation des trains électriques!
Bien sur, la technologie des caténaires est plus compliquée que la rapide introduction ci-dessus. Mais le principe est là ...
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