Il y a peu, un de mes jeunes amis, élève de terminale S, m'a posé une question peu banale, du moins pour un élève de TS. Je lui ai affirmé au cours d'une discussion, de façon un peu péremptoire j'en conviens, que le photon n'avait pas de masse. Je le vis interloqué puis pensif... Il lit beaucoup de journaux de vulgarisation comme S&V Junior et me dit :"comment est-ce possible? Le photon transporte de l'énergie et en appliquant la relation d'Einstein E = mc 2, le photon doit avoir une masse! ".
Cette célèbre formule décore les tee-shirts et est connue dans le monde entier, mais je fus quand même surpris... J'ai tenté une réponse rapide, un peu confuse et pour tout dire qui ne m'a pas satisfaite. Et qui n'a pas convaincu mon interlocuteur. J'ai donc décidé d'étudier plus avant la question avec les éléments disponibles dans le programme de physique des 1eres S et Term S.
Je me suis donc penché sur les livres de cours de 1S et TS (les "Sirius" de Nathan) et j'ai cherché ce qu'ils disaient à propos des photons. Voilà mes résultats, en résumé:
Le cours que j'ai sous les yeux ne mentionne même pas l'origine du terme "photon", qu'on appelait "grain de lumière" du temps d'Einstein. Ce terme a été créé par Gilbert Newton Lewis en 1926... Pour être juste, mentionnons que le concept de "grain de lumière" était déjà employé par Newton, qui tenait dur comme fer à la conception corpusculaire de la lumière!
Alors, que dire à un élève attentif ou curieux qui s'interrogerait sur cette contradiction!
A propos du photon, le cours de physique de TS aborde la notion de fréquence et de longueur d'onde. Il aborde aussi, dans le chapitre sur la relativité, la notion de dépendance du temps (il oublie celle des distances) au référentiel de l'observateur.
Le photon est par définition une particule relativiste. Il se déplace toujours à la vitesse de la lumière. Il convient donc de se souvenir que toute mesure de temps et de distance concernant le photon relève des règles de mesure édictées par la théorie de la relativité restreinte. En bref, les notions de fréquence et de longueur d'onde d'un photon, qui font appel à un temps et à une distance, sont propres à l'observateur, dans son référentiel propre.
Cela signifie que dans deux référentiels galiléens différents, la fréquence et la longueur d'onde d'un photon peuvent être différentes (voir ce point dans "Relativité restreinte" §9.1 d'Eric Gourgoulhon, par exemple). Ainsi, on peut trouver un référentiel où la fréquence mesurée par l'observateur lié au référentiel sera arbitrairement petite..
La seule caractéristique intrinsèque du photon, invariante par changement de référentiel, est son 4-vecteur impulsion (sa quantité de mouvement dans l'espace temps de Minkowski). Sa fréquence et sa longueur d'onde ne sont pas des invariants par changement de référentiel.
Ne pas négliger les effets relativistes quand on parle de photon... Et éviter les calculs simplistes qui ne tiendraient pas compte de ces effets !
Disons tout de suite qu'il existe un gros malentendu dans l'esprit de la plupart des élèves de lycée et même de prépa, sans parler du grand public. la formule E = mc2 est un cas particulier ! La formule complète d'Einstein s'écrit E2 = m2c4 + p2c2 où p est la quantité de mouvement de la particule dont on calcule l'énergie. Pour aboutir à la formule célébrissime, et plus facile à retenir, on pose p = 0, c'est à dire qu'on considère la particule au "repos" dans le référentiel de l'observateur. Or cela pose un problème énorme concernant le photon !
La relativité restreinte postule que les lois de la physique sont les mêmes quelque soit le référentiel galiléen choisi (c'est introduit dans le chapitre sur la relativité dans le cours de TS). Et donc, La célérité de la lumière c est un invariant par changement de référentiel.. Cela signifie que la vitesse d'un photon est invariante quelque soit le référentiel.
La conséquence de ce postulat, c'est qu'il n'existe aucun référentiel dans lequel on puisse considérer le photon comme étant au repos. Et donc, qu'il n'existe aucun référentiel où l'on puisse calculer l'énergie d'un photon avec la formule E = mc2 . Chaque fois qu'on utilise cette formule pour le photon, on commet une erreur conceptuelle.
Quand on écrit la formule E = mc2 , on considère donc une particule de vitesse nulle dans le référentiel galiléen de l'observateur. Je rappelle qu'il ne peut s'agir d'un photon, mais d'un atome, d'un électron ou autre. La valeur "m" est souvent dénommée "masse au repos" ou encore, plus justement "masse propre". C'est la masse de la particule lorsque celle-ci est au repos (vitesse nulle) dans le référentiel de l'observateur.
Voyons maintenant ce que cela donne concernant le photon. Reprenons l'équation E2 = m2c4 + p2c2 et égalons l'énergie à son autre expression hν. On obtient:
hν = sqrt(m2c4 + p2c2)
Comme vu plus haut, il est possible de trouver un référentiel dans lequel la fréquence est aussi petite que l'on veut et même qui tende vers 0, ce qui nous donne sqrt(m2c4 + p2c2) = 0. La nullité du radicande n'est possible que si les deux termes sont nuls, c'est à dire si la masse m du photon est nulle. Ceci nous conduit à une nouvelle formulation de l'énergie d'un photon, plus rigoureuse E = pc, où p est la quantité de mouvement (ou l'impulsion) du photon.
Une dernière remarque dans le cas du photon : on pourrait être tenté d'écrire la quantité de mouvement du photon en appliquant la transformée de Lorentz p = (1/sqrt(1 - (v/c)2))*mv, ce qui n'aurait aucun sens... En effet, pour le photon v=c et donc 1/sqrt(1 - (v/c)2) tendrait vers l'infini ! Le photon est une particule bien à part décidément !
Autre point souvent cité par les élèves curieux : "le photon a une masse parce que l'attraction gravitationnelle a un effet sur lui : une étoile massive dévie la lumière".
En effet, la lumière est bien déviée par une étoile ou une galaxie massive, c'est l'effet de lentille gravitationnelle. Mais cet effet n'a rien à voir avec l'attraction gravitationnelle que connaissent les élèves de lycée, c'est à dire celle de Newton. L'étoile ou la galaxie n'exerce pas une attraction gravitationnelle sur les photons !
En physique classique, on affirme que la lumière se déplace en ligne droite. C'est vrai lorsque le flux de photons est loin d'une masse ! En fait, les photons se déplacent le long d'une courbe qu'on appelle une "géodésique de genre lumière", ou "géodésique lumière". C'est une courbe dans l'espace temps de Minkowski. Et comme vous l'avez sans doute entendu dire ou lu, une masse déforme cet espace temps, et déforme aussi la géodésique, qui n'est alors plus une droite.
Si la trajectoire d'un photon est déviée par une étoile, ce n'est pas parce que l'étoile attire le photon, mais parce l'espace temps autour de l'étoile est déformé. c'est un des apports majeurs de la relativité générale, démontré expérimentalement avec une grande précision.
La relativité restreinte impose une masse nulle pour les photons. Les vérifications expérimentales de cette théorie sont particulièrement convaincantes. Ce n'est pas un argument déterminant pour affirmer que la masse du photon est nulle, seule l'expérience est vraiment déterminante, mais disons que c'est un argument convaincant....
L'électrodynamique quantique, c'est à dire la théorie des électrons relativistes, impose une masse nulle aux photons (une histoire d'invariance de jauge...). Or cette théorie est l'une des mieux vérifiées de la physique moderne.
Enfin, le modèle standard des particules, renforcé récemment par la découverte du boson de Higgs, stipule lui aussi que le photon est de masse nulle.
Tout ça fait qu'aujourd'hui, la majorité des physiciens admet que la masse du photon est nulle. La preuve expérimentale n'existe pas encore, mais c'est très très probable...
La physique est une science expérimentale. Si l'on affirme, pour des raisons de cohérence théorique que la masse du photon est nulle, il doit être possible de le montrer expérimentalement...
Et bien, ce n'est pas si simple que ça ! Comment déterminer la masse d'un photon ?
Curieusement, toutes les expériences de détermination de la masse du photon visent d'abord à vérifier le bienfondé expérimental des lois de carré inverse, comme la loi de Coulomb ou la loi d'attraction gravitationnelle de Newton. Je ne vais pas rentrer dans le détail, mais la vérification de la loi de carré inverse conduit à introduire dans la forme du potentiel un terme qui inclut la masse du photon (dans la forme de potentiel de type "Yukawa" pour les curieux...).
Les meilleurs résultats actuels sont donnés par des mesures sur le champ géomagnétique terrestre. Deux physiciens (Kobzarev et Okun) en ont déduit le majorant de la masse du photon, soit environ 4*10-51 kg. Pour les curieux, voici un lien sur leur article : http://www.itep.ru/theor/persons/lab180/okun/em_24.pdf. D'autres expériences (par exemple celle de Williams, Faller et Hill) donnent des résultas sensiblement équivalents, de l'ordre de 10-50 kg.
C'est très très très faible, mais pas nul. Evidemment, c'est un majorant et ce n'est pas la preuve expérimentale que la masse du photon est nulle. Mais cela y ressemble quand même... Ces résultats et les éléments théoriques tendent à affirmer que le photon a bien une masse nulle. Cela ressemble à la discussion sur le principe d'équivalence, dans lequel on admet l'équivalence de la masse grave et de la masse inertielle, sans que l'on ait encore pu le démontrer expérimentalement. Là aussi, nous ne disposons que d'un majorant de la différence entre les deux masses...
Contenu et design par Dominique Lefebvre - tangenteX.com mars 2013 Contact : PhysiqueX ou
Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 3.0 France.