La dualité onde-corpuscule, ou dualité onde-particule c'est la même chose, est évoquée dans le cours de physique de Première S et fait l'objet d'un chapitre du cours de Terminale S. On y lit des choses comme la structure de la lumière est à la fois ondulatoire et corpusculaire.
Qu'est-ce que cela signifie ? La lumière est-elle à la fois onde et corpuscule comme semble l'affirmer cette phrase et ce terme "dualité onde-corpuscule" ? La physique quantique répond clairement de nos jours: la lumière n'est ni onde ni corpuscule, elle est autre chose ! Mais regardons cela de plus près ...
Quelles idées se font des élèves de TS d'une onde et d'un corpuscule ?
Au cours des études de lycée, la particule ou corpuscule, est appréhendée comme un objet d'extension spatiale définie et limitée, bien souvent ramenée à l'approximation ponctuelle (en mécanique newtonienne par exemple). La particule possède une masse, une vitesse, une quantité de mouvement, une énergie cinétique et potentielle, une accélération. Elle peut être soumise à des interactions et son comportement est régi par les lois de la mécanique classique, en l'occurence les lois de Newton.
La notion d'onde est peut-être moins précise. Le cours de TS aborde les ondes mécaniques comme la propagation d'une perturbation d'un milieu déformable. Bien évidemment, la notion d'onde lumineuse est distinguée, en appuyant sur la nature du milieu déformé. Ici, la notion de champ est abordée. La forme mathématique de la solution à l'équation d'onde est proposée, sans que l'extension spatiale et temporelle infinie d'une onde ne soit vraiment exhibée. Les phénomènes de diffraction et d'interférence sont introduits. Les notions acquises sont suffisantes pour que les élèves ressentent la différence fondamentale qu'il existe au sens classique entre une onde et une particule.
Le Petit Robert (édition 1993) définit une dualité comme étant le caractère ou état de ce qui est double en soit - coexistence de deux éléments de nature différente . Le concept de dualité onde-corpuscule appliqué à la lumière affirme donc que la lumière présente deux états coexistents, l'un corpusculaire et l'autre ondulatoire, une espèce de dualité oncologique, onde et corpuscule.
Evidemment, n'importe quel physicien aura noté que c'est logiquement absurde puisque physiquement et mathématiquement, les deux états s'excluent. Aussi, les physiciens du début du XXeme siècle ont-ils cherché comment sortir de cette impasse logique.
Les interrogations sur la nature de la lumière ne datent pas d'hier ! Sans remonter à l'Antiquité, deux concepts se sont affrontés dès le 17eme siècle:
La théorie corpusculaire a été prédominante pendant tout le 18eme, avec des défenseurs de poids, comme Laplace, qui affirme en 1793 dans son "Mécanique céleste", que la lumière consiste en une émission de corpuscules . Il est intéressant de noter que ces scientifiques ne disposaient d'aucune preuve expérimentale de la nature corpusculaire de la lumière. Ils s'appuyaient plutôt sur un concept mécaniste: propagation en ligne droite = trajectoire de corpuscules. La mécanique de Newton régnait en maîtresse absolue sur la physique.
Il fallu attendre le tout début du 19eme siècle pour que les partisans de la théorie ondulatoire de la lumière se manifestent, et de quelle manière! En 1800, Thomas Young remarque que la vitesse de la lumière est plus grande dans l'air que dans l'eau, ce qui est d'après Huygens une conséquence de la nature ondulatoire de la lumière. Mais surtout, il découvrit en 1803 le phénomène d'interférence en faisant diffracter un rayon lumineux par deux trous. Et le résultat obtenu, les franges d'interférence, est complétement incompatible avec la théorie corpusculaire ! Young calcula même différentes longueurs d'onde du visible : 0,42 μm pour le violet, 0,7 μm pour le rouge... En 1804, Young montra que les franges d'interférence sont des hyperboles, ce qui renforce la théorie ondulatoire. Il introduisit aussi la notion de polarisation, qui enrichit le débat entre partisans du corpusculaire et de l'ondulatoire.
En France, pendant le 19eme, une cohorte de polytechniciens: Malus (X1794), Arago (X1803), Fresnel (X1804) firent prospérer la théorie ondulatoire de la lumière, bien qu'à l'origine Malus fut plutôt partisan de la théorie corpusculaire. Biot (X1794) tente de réagir en défendant la théorie corpusculaire. Il interprète la diffraction selon cette théorie et obtient des résultats décevants : les franges seraient rectilignes et non hyperboliques comme observé, dommage....
A la fin du 19eme, la nature ondulatoire de la lumière ne faisait plus beaucoup de doute, de même que son milieu de propagation, l'éther. Tout était compris, connu, sauf comme le notait Lord Kelvin en 1892 : Il y a bien deux petits problèmes: celui du résultat négatif de l'expérience de Michelson et celui du corps noir, mais ils seront rapidement résolus et n'altèrent en rien notre confiance . Les fameux "petits nuages" de Kelvin ! Ce jour là, Lord Kelvin fut très mal inspiré : le premier "petit problème" donna naissance à la relativité restreinte puis générale, et le second à la physique quantique, rien que ça! La théorie électromagnétique de Maxwell fournissait un cadre cohérent et solide à la théorie ondulatoire de la lumière. On pouvait en déduire sa vitesse (sa célérité en l'occurence puisqu'il s'agit d'une onde dans cette théorie), en parfait accord avec les données expérimentales. Restait évidement le "petit problème" concernant l'éther, le milieu de propagation, depuis l'échec de l'expérience de Michelson et des différentes interprétations de cet échec.
La première évocation d'une dualité onde-corpuscule, sans que ce terme n'ait été employé, est due à Einstein en 1909, lorsque dans un article il exhiba une formule de fluctuation de la lumière qui comportait un terme ondulatoire et un terme corpusculaire. La controverse prenait une nouvelle dimension !
Cette dualité transparait dans les deux équations les plus célèbres de la mécanique quantique naissante au début du 20eme siècle. Voyons l'équation de Planck-Einstein E = h/ν et l'équation de De Broglie p = h/λ. E et p, respectivement l'énergie et la quantité de mouvement, sont associées au monde des particules, alors que ν et λ, respectivement la fréquence et la longueur d'onde, sont typiquement des variables du monde des ondes. Dans ces deux équations fondatrices, chacune comprend une variable ondulatoire et une variable corpusculaire. Etonnant non? Et très agaçant aussi ! Nous reviendrons plus loin sur ces deux équations.
Le 20eme siècle devait donc répondre à cette interrogation: la lumière, plus généralement la matière est-elle corpuscule ou rayonnement, ou bien autre chose? Pour illustrer cette interrogation, cette dualité supposée, on met souvent en avant plusieurs expériences : l'effet photo-électrique, l'effet Compton, la diffraction d'ondes de matière. Ces expériences datent du début du 20eme, nous allons les décrire brièvement.
Plusieurs expériences réalisées au tournant du 20eme siècle ont éclairé d'un nouveau jour la nature de la lumière. Nous listerons 3 manips en particulier: le rayonnement du corps noir qui aboutit à la quantification du rayonnement, l'effet photoélectrique et l'effet Compton, qui impliquent un comportement corpusculaire du rayonnement. La théorie électromagnétique de la lumière, ondulatoire par construction, qui prévalait à cette époque, fut bien en peine d'expliquer ces résultats expérimentaux...
J'ai abordé ce problème sur la page consacrée à la catastrophe ultraviolette. Pour résumer, Planck a introduit la notion de quantification des échanges d'énergie. Il est important de noter qu'il n'a pas pensé que c'est le rayonnement en lui-même qui était quantifié, mais les échanges d'énergie rayonnement-matière. C'est à Einstein qu'on doit la quantification du rayonnement, comme explication de l'effet photoélectrique. Il reste que Planck introduisit à cette occasion la constante qui porte son nom, et qui est un des piliers de la physique quantique.
En passant, signalons qu'en physique classique, l'échange d'énergie est un processus continu et que la quantification de ces échanges est une révolution...
L'effet photoélectrique a été découvert par Antoine Becquerel en 1839. Lors de l'étude de ce phénomène, les physiciens du 19eme (Hertz en particulier) ont fait quelques constats, sans explication en physique classique:
C'est Einstein qui interpréta en 1905 l'effet photoélectrique en poursuivant l'idée de Planck. Il postula que le rayonnement était quantifié. L'argumentation est relativement simple:
Cette interprétation, confirmée par l'expérience, remet au goût du jour la nature corpusculaire de la lumière. Elle est absolument incompatible avec une théorie ondulatoire.
L'effet Compton rend compte d'une nouvelle caractéristique du photon qui renforce son aspect corpusculaire. Non seulement le photon possède une énergie, mais aussi une quantité de mouvement ! Mais me direz-vous, comment une particule réputée de masse nulle (voir ici pour cette discussion) peut-elle bien posséder une quantité de mouvement? Et bien, en suivant Einstein, il suffit de définir la quantité de mouvement comme la quantité d'énergie transportée dans un mouvement !
En 1909, un physicien nommé Barkla étudiait la structure de l'atome en "éclairant" une cible d'élément léger (bore, graphite) avec des rayons X de longueur d'onde λ0 d'environ 1 angström (10-10m). Son objectif était de vérifier le nombre d'électrons présents dans un atome (le Z). Il observa une diffusion des rayons X par les électrons des atomes, les rayons X diffusés avaient la même longueur d'onde que les rayons X incidents. Ce phénomène s'explique très bien en physique classique: les rayons X incidents mettent en vibration forcée les électrons, qui comme toutes particules chargées accélérées, rayonnent dans toutes les directions avec une fréquence identique à la fréquence d'excitation. Les rayons X ont été diffusés (direction modifiée) élastiquement (même fréquence donc pas de perte d'énergie).
Toutefois, lorsque les physiciens refirent les expériences en utilisant des rayons X plus durs, de longueur d'onde plus petite, ils constatèrent un phénomène non prévu par la théorie classique: en plus des rayons X diffusés élastiquement (de même longueur d'onde que les X incidents), ils observèrent des rayons X diffusés de longueur d'onde plus grande, c'est à dire qui avaient perdu de l'énergie. Il existait donc une diffusion inélastique, inexplicable selon la théorie classique. C'est ce problème qu'a étudié Compton.
Compton refit l'expérience de Barkla entre 1921 et 1923. Il employa des X de longueur d'onde un peu plus courte (0,71 angström) et une cible de graphite. Il constata les faits suivants:
Pour interpréter ces observations, et parce que c'était dans l'air du temps à la suite de la publication d'Einstein sur l'effet photoélectrique, Compton postula que la longueur d'onde et l'intensité des rayons diffusés sont ce qu'elles devraient être si un quantum de rayonnement rebondissait sur un électron comme une boule de billard rebondit sur une autre. . Autrement dit, il s'agirait d'une collision inélastique entre un photon et un électron !
On aurait donc à faire un électron immobile ou presque et libre, qui serait percuté par un photon. Après le choc, l'électron récupère un peu de la quantité de mouvement du système initial et le photon en perd un peu. Il perd donc de l'énergie (sa vitesse ne risque pas de varier!) et donc sa longueur d'onde diminue... Si l'on écrit l'équation de conservation d'énergie, en supposant qu'elle soit applicable au niveau microscopique (et elle l'est !), on obtient:
hν0 + mc2 = hν + γmc2
m étant la masse propre de l'électron et γ la transformée de Lorentz car le photon est toujours relativiste... Si l'on projette cette relation sur un axe de direction égale au faisceau incident, et si je note θ l'angle de diffusion du photon et φ l'angle de recul de l'électron, j'obtiens la relation:
hν0/c + 0 = (hν/c)cosθ + γmvcosφ
avec v la vitesse de recul de l'électron. la projection sur l'axe orthogonal au faisceau incident donne elle:
0 + 0 = (hν/c)sinθ - γmvsinφ
En triturant un peu ces deux équations et en posant a = hν0/ mc2, on obtient la relation suivante entre la fréquence des photons diffusés et la fréquence des photons incidents:
ν = ν0/(1 + 2asin2(θ/2))
Il ressort clairement de cette équation que la fréquence diffusée est plus petite que la fréquence incidente. On en déduit aussi que:
Δλ = 2(h/mc)sin2(θ/2)
La théorie de Compton, basée sur l'hypothèse corpusculaire du photon, répond parfaitement aux observations expérimentales ! Cela valut à Compton le prix Nobel de physique en 1927.
Il existe donc plusieurs expériences qui confirment que la lumière possède un comportement corpusculaire lors de ses interactions avec la matière. Il existe un quantum de lumière qu'on appelle depuis Lewis en 1926 "photon", qui se comporte comme une particule. Mieux, il existe aujourd'hui des détecteurs capables de détecter un photon et un seul, et des sources qui peuvent "cracher" des photons un à un. La lumière est-elle corpusculaire? Nous allon voir maintenant les arguments des tenants de l'ondulatoire.
Le phénomène d'interférence est propre aux ondes. Lorsque Young le mit en évidence pour la lumière, il se fit "démonter" par les physiciens de son siècle, qui étaient persuadés, sous l'influence newtonienne, que la lumière était un fluide corpusculaire. Pour tous, il était clair que si la lumière était capable d'interférer, c'est qu'il s'agissait d'une onde.
Le phénomène d'interférence résulte du principe de superposition des ondes combiné avec la diffraction d'une onde par une fente (ou un trou ou un objet quelconque). Dans l'expérience d'interférence de deux fentes, une même onde éclaire les deux fentes, séparées d'une distance faible. On supposera que la largeur des fentes est du même ordre de grandeur que la longueur d'onde de l'onde incidente. Chaque fente va donc diffracter l'onde et se comporter comme une source secondaire. Si l'on dispose un écran à une distance suffisament grande des fentes, on peut observer la superposition des deux ondes. En chaque point de l'écran, les amplitudes des onde s'ajoutent. Et cette somme peut donner une grande intensité de lumière (les raies blanches) ou pas de lumière du tout (les raies noires).
Pour illustrer ce phénomène, je vous propose un petit programme Maple qui calcule et trace des franges d'interférences provoquées par deux fentes de Young. Vous pouvez vous amuser à changer les paramètres (longueur d'onde, largeur de fente, distance entre les fentes) pour voir ce que cela donne...
Voilà ce que j'obtiens avec les paramètres de mon code:
Cette expérience est très connue et étudiée en TS. Mais comment expliquer qu'un phénomène typiquement ondulatoire soit compatible avec un concept corpusculaire ? Comment réagir lorsque au même moment, dans le même labo un élève fait une manip sur l'effet photoélectrique et l'autre une manip sur les fentes de Young ? Pas sur que les élèves mesurent d'ailleurs la bizarrerie de la chose ....
Comme le phénomène d'interférence, dont il est l'origine, le phénomène de diffraction est purement d'origine ondulatoire. En physique classique, il n'est pas envisageable de diffracter autre chose qu'une onde. Et pourtant ! En 1927, presque par hasard, Davisson et Germer ont diffracté un faisceau d'électrons sur un cristal de nickel. Ils s'en sont aperçus lorsqu'ils observèrent une figure semblable à celle qu'on obtient en diffractant un rayon X sur un cristal. Qu'un faisceau de rayons X soit diffracté, cela semblait raisonnable puisqu'on considérait les rayons X comme des ondes électromagnétiques, mais a priori les électrons étaient des corpuscules purs et durs ! D'autant qu'ils n'étaient pas les seuls à trouver ce genre de résultat: G. Thomson a observé la même figure de diffraction par transmission d'un faisceau d'électrons dans un film métallique mince. Pour information, Davisson et Thomson eurent le prix Nobel de physique pour ça en 1937.
Il devenait urgent de trouver un modèle théorique pour expliquer ces phénomènes.
En fait, il existait déjà : la mécanique ondulatoire de Louis de Broglie. Il convient ici de préciser que la mécanique de de Broglie concerne les particules matérielles dotées d'une masse, comme les électrons, les protons, les atomes, etc... C'est pour cette raison que vous trouverez très souvent dans la littérature le terme "ondes de matière".
L'idée fondamentale de Louis de Broglie, développée dans sa thèse en 1924, découle des travaux d'Einstein, qui exhibèrent les aspects corpusculaires de la lumière. Si celle-ci présentait des aspects ondulatoires et corpusculaires, pourquoi ne pas supposer qu'aux corpuscules de matière comme les électrons était associée une onde. Là, il convient d'appuyer sur un point : de Broglie n'affirmait pas que la matière était ondulatoire ! Il postulait qu'à chaque particule de matière était associée une onde.
Cette onde harmonique, qui se déplace dans la même direction que la particule associée est de la forme classique:
Ψ(x,t) = Aexp(i(x.k- ωt)
avec ω = 2πν la pulsation de l'onde et k le vecteur d'onde et k = ω/v, v la vitesse de groupe de l'onde. Comme vous le savez si vous avez bien suivi votre cours d'optique (ou lu cette page !), on peut établir une relation simple entre le nombre d'onde k et la longueur d'onde λ : k = 2π/λ. Revenons sur v : vous vous souvenez que c'est la vitesse de groupe qui est la vitesse de propagation de l'énergie et non la vitesse de phase. De Broglie postule donc que la vitesse de groupe de l'onde est égale à la vitesse de la particule associée. Le cours d'optique nous permet d'avancer un peu plus loin, il nous donne la relation:
1/v = dk/dω, soit v = dω/dv * dv/dk (1)
A ce point, de Broglie suppose que l'équation de Planck-Einstein E = hν ou encore E = ℏω (ce qui nous évite de trainer les 2π), valable pour les photons, l'est aussi pour les particules matérielles. Il avait de bonnes raisons de le penser en 1923. Pour une particule quelconque (relativiste) on a donc E = ℏω = γmc2.
En utilisant la relation (1) et en intégrant avec k=0 pour v=0, on obtient:
ℏω = γmv = p
ou encore, sous forme vectorielle, la célèbre formule de Louis de Broglie qui caractérise les ondes de matière:
ℏk = p
De Broglie postule donc qu'il existe une onde dont il donne le vecteur d'onde et qui serait associée à toute particule matérielle. Sa longueur d'onde serait donnée par la relation:
λ = h/p = 2π/k
On peut écrire cette équation sous d'autres formes, pour en étudier la portée. Par exemple, écrivons là:
λ = (h/mc)(sqrt(1 - (v/c)2))/(v/c)
On constate ici que λ décroit lorsque v augmente. Pour v donnée, λ est inversement proportionnelle à m, la masse propre de la particule. Ce qui nous permet d'affirmer que pour observer une onde de matière qui ne soit pas de longueur d'onde ridiculement petite, il faut que v et que m soient petites.
On peut aussi l'écrire, avec E l'énergie totale de la particule:
λ = hc/sqrt(E2 - m2c4)
A masse propre constante, la longueur d'onde est inversement proportionnelle à E.
Enfin, si v est très petite devant c, on obtient l'approximation non relativiste:
λ = h/mv
Si chaque particule est associée à une onde, comme se fait-il que nous ne constations aucun effet de cette théorie dans notre quotidien? Pour répondre à cette question il faut garder présent à l'esprit les ordres de grandeur en jeu.
Considérons par exemple un grain de poussière d'un microgramme (10-9 kg) se déplacant à 1 m.s-1. Nous sommes donc dans le domaine de l'approximation non relativiste. Calculons la longueur d'onde de l'onde associée à ce grain de poussière, soit λ = h/mv = 6.63*10-34 / 10-9*1, ce qui nous donne λ = 6.63*10-25m, ce qui est très très petit pour une longueur d'onde ! Imaginez ce que cela donnerait pour une balle de golf, un ballon de foot ou bien la Terre! Pas étonnant que cette théorie reste cantonnée à ce qu'on appelait la microphysique...
En fait, pour détecter les ondes de matière, il faut s'arranger pour que la longueur d'onde soit du même ordre de grandeur que celle de l'objet diffractant. Pour obtenir une longueur d'onde mesurable, il faut de préférence opérer avec une particule lente et de masse petite (on l'a vu plus haut). Les électrons conviennent très bien : on peut facilement ajuster leur vitesse et leur masse est petite. Pour un électron non relativiste, d'énergie cinétique Ec, sa longueur d'onde sera égale à λ = h/sqrt(2mEc). Pour un électron d'énergie cinétique égale à 100 eV, la longueur d'onde est de l'ordre de grandeur du pas de réseau d'un cristal métallique. Pas étonnant que ce soit des diffractions d'électrons qui aient d'abord été constatées...
Le comportement ondulatoire de la lumière et même de la matière, semble familier et présente de nombreuses applications pratiques: interféromètres, microscopes électroniques, etc... Pour autant, la mécanique quantique démontre que la lumière n'est pas une onde, pas plus qu'un fluide de corpuscules.
Notons également que la description purement ondulatoire des particules, chère à la mécanique ondulatoire de De Broglie présentée dans le cours de TS, a complétement disparue de la physique quantique moderne. Elle ne devrait apparaitre que comme élement historique, comme la mécanique des matrices d'Heisenberg (qui n'apparait même pas dans le cours d'ailleurs, ce qui dommage..). Mentionnons quand même que la relation de De Broglie est utilisée fréquemment comme outil de calcul, mais en sachant à quoi s'en tenir sur sa signification théorique.
Est-il possible de répondre à cette question : onde ou corpuscule ? Est-il possible de monter une expérience qui nous renseigne sur le sujet ? Comment la mécanique quantique modélise-t-elle ces objets, photons, électrons, atomes, qui semblent se comporter parfois comme des ondes, parfois comme des corpuscules, selon l'expérience que l'on mène ?
Commençons par regarder des expériences dans lesquelles on manipule ce qui semble etre des corpsuscules (photons ou atomes) et pour laquelle on obtient un résultat qui semble être ondulatoire (des franges d'interférence !).
Toutes les expériences d'interférométrie que vous avez menées au lycée l'ont été avec une source monochromatique (un laser la plupart du temps) qui émet une quantité astronomique de photons par unité de temps. Ne vous êtes-vous jamais demandé ce qui se passerait si l'on tentait l'expérience avec un seul photon ? Si la lumière est ondulatoire, et en gardant les concepts de physique classique, il devrait être impossible d'isoler un photon. Si la lumière est corpusculaire, il sera théoriquement possible d'isoler un photon mais dans ce cas, toute interférence, phénomène ondulatoire par définition, devrait être impossible ! Il faudrait pouvoir faire l'expérience ...
L'expérience a été faite, de nombreuses fois ! Il a d'abord fallu créer des sources de photons isolés. Il en existe de plusieurs types. Ceux que cela intéressent pourront lire avec profit l'article "Les sources de photons uniques" dans le dossier n°53 de "Pour la Science". Ou bien se pencher sur la thèse très intéressante de Vincent Jacques (ENS Cachan 2007), dont le sujet est précisément "Source de photons uniques et interférences à un seul photon". On la trouve facilement sur le net et sa lecture est vraiment très enrichissante.
Regardons les vues ci-dessous. Elles représentent les impacts de photons isolés après passage dans des fentes de Young. Elles sont tirées de la thèse de Vincent Jacques, qui décrit précisément l'experience (§1.4.2 et suivants).
La première image représente l'impact de 100 photons environ. On voit les impacts et on remarque qu'ils sont distribués aléatoirement. Sur l'image (b), qui visualise l'impact d'environ 1000 photons, on note un début d'organisation, qui se renforce sur l'image (c) (5 000 photons). L'image (d) (20 000 photons) ressemble carrément à une figure d'interférence !
Cette expérience ne peut s'expliquer qu'en considérant le comportement ondulatoire du photon. La mesure de l'interfrange correspond à la valeur que l'on pourrait calculer d'après les résultats de l'optique ondulatoire. Voilà donc une expérience qui montre la dualité onde-corpuscule....
Dans la leçon 1 (l'amphi 1 du cours de méca quantique de l'X dans les années 80 !) de son cours de méca quantique ("12 leçons de Mécanique quatique" chez Vuibert), Jean-Louis Basdevant, que je salue et remercie au passage, mentionne une expérience passionnante. il s'agit de créer des franges d'interférence avec des atomes de néon, montrant ainsi le comportement étrange d'objets quantiques. Ce qui est possible avec des photons, comme montré ci-dessus, l'est aussi avec des atomes ! Le passage ci-dessous et le schéma sont extrait de son cours.
Des physiciens japonais de la Nippone Electronics (NEC) ont réalisé assez récemment [en 1992] une superbe expérience d'interférences d'atomes froids dans des fentes d'Young. Les atomes, des atomes de néon, sont initialement piégés dans des ondes stationnaires laser, et ils sont lâchés en chute libre au travers de deux fentes de 2 μm de large, distantes de 6 μm.
Le résultat de la manip est consigné schématisé ci-dessus.
Qu'observe-t-on sur ce schéma? La distribution des impacts des atomes à l'arrivée est la même que celle de l'intensité lumineuse dans le même dispositif, avec des franges d'interférences au même endroit, pourvu que soit satisfaite la relation de de Broglie λ = h/p.
Quelques données numériques que JL Basdevant ne mentionne pas : la vitesse des atomes est de l'ordre de 2 m.s-1, la longueur d'onde associée de 2 nm et l'interfrange obtenue de 2 mm.
Nous retrouvons ici le même comportement que nous avions observé avec des photons, et que nous pourrions obtenir avec des électrons, des neutrons et même avec des molécules bizarres, les fullerènes par exemple, des molécules plutôt grosses!. Beaucoup d'expériences ont été faites qui confirment expérimentalement la chose !
Alors quoi ? Un atome, un photon, est-il une particule qui possède une taille, que l'on peut détecter unitairement? Ou bien est-il une onde qui remplit tout l'espace ? Que constate-t-on expérimentalement dans les manip décrites précédement ? Que:
Il reste à déterminer cette loi probabiliste. Et c'est là que la mécanique quantique répond...
Et sa réponse est qu'il n'est pas possible d'appliquer les concepts classiques d'onde et de particule à un objet quantique, comme un photon ou un atome. Il s'agit du principe de complémentarité énoncé par Bohr en 1927, qui fonda ce que l'on appelle "l'interprétation de Copenhague" en mécanique quantique. L'interprétation de Copenhague est probabiliste: les processus quantiques sont non-déterministes et la seule prédiction que l'on peut calculer est une amplitude de probabilité.
Je ne vais pas la développer ici, il y beaucoup d'ouvrages qui le font bien mieux que moi. Et puis, ce n'est pas le lieu... Juste un résumé très très simplifié. On a vu qu'un objet quantique pouvait présenter un comportement étrange, corpuscule dans certaines expériences, onde dans d'autres, et qu'il fallait abandonner les concepts classiques pour le décrire. Bohr et ses successeurs proposent cette interprétation : on décrit un objet quantique avec deux approches:
En fait, ça ne marche pas si mal ! Toute la physique des particules est bâtie sur cette interprétation, sans parler de votre PC et de votre smartphone. Mais sur le plan intellectuel, c'est quand même perturbant...
On ne peut pas, à ce stade, ne pas évoquer le vecteur d'état, cet objet physico-mathématique qui décrit un objet quantique. Il a remplacé en la généralisant la notion de fonction d'onde.
Vous savez qu'en mécanique classique, un système est entièrement défini par sa position et par sa vitesse, soit dans l'espace ordinaire 6 variables pour une particule, et donc 6N variables pour un système de N particules. Vous savez aussi peut-être que l'on regroupe souvent ces 6 variables en un vecteur d'un espace particulier qu'on appelle "espace de phase".
Et bien, on peut dire que le vecteur d'état, que l'on note |Ψ>, est l'équivalent quantique de ce vecteur de l'espace de phase. C'est simpliste comme comparaison, mais j'espère que c'est assez parlant. Pour la petite histoire, on appelle ces vecteurs des kets.
Le vecteur d'état est un outil de prédiction probabiliste des résultats de mesures. Notez que l'aspect probabiliste ne reflète pas une mauvaise connaissance de l'état du système. Le vecteur d'état fournit l'information la plus complète possible sur l'état d'un objet ou système quantique. Pour autant, fournit-il une description sur l'état physique actuel de l'objet? Certains le pensent, Dirac en tête. Ce sont les "réalistes" et aujourd'hui c'est la majorité des physiciens. On enseigne la MQ comme ça. Mais c'est encore discuté...
L'équation de Schrödinger n'est autre que l'équation d'évolution d'un ket ! Elle s'écrit donc:
iℏ∂(|Ψ>)/∂t = H(t)|Ψ>
H est l'hamiltonien du système. Une sorte de super deuxième loi de Newton ! Pour plus de détails, je vous renvoie à la page qui lui est consacrée. On la retrouve exprimée ici en langage moderne, la variable étant un ket et non plus une fonction d'onde comme dans l'équation originale.
Le tableau suivant résume les approches différentes de la mécanique classique et de la mécanique quantique pour décrire une particule ponctuelle:
Mécanique classique | Mécanique quantique | |
Caractéristiques | masse m, charge q |
masse m, charge q |
Etat | position r(t), quantité de mouvement p(t) |
fonction d'onde Ψ(r,t) ou vecteur d'état |Ψ> |
Mouvement | p =mv dp/dt = ma |
iℏ∂Ψ/∂t = (ℏ2/2m)ΔΨ |
Approche | déterministe | probabiliste |
Il faut quand même remarquer que l'interprétation des résultats donnée par la mécanique quantique n'est pas très claire. Depuis sa naissance, et c'est encore vrai aujourd'hui, les physiciens se demandent si la "réalité physique"" est vraiment décrite par la physique quantique ou bien si, comme beaucoup de physiciens le pensent, il faut s'en tenir à utiliser le très puissant formalisme quantique et ne pas s'interroger pour l'instant sur la nature du "réel". C'est pour moi la signification du principe de complémentarité exprimé par Bohr et critiqué par beaucoup de physiciens: Schrödinger, Einstein, Bell... Il n'existe aujourd'hui aucun consensus sur la signification du vecteur d'état: décrit-il vraiment la réalité d'un objet quantique ? Faut-il vraiment renoncer à une description "réaliste" d'un objet quantique? Peut-être que l'un d'entre vous trouvera les réponses à ces questions...
La constante de Planck joue un rôle fondamental dans la construction de la physique quantique. Il serait donc utile de s'arrêter un moment sur cette constante.
Le cours de TS nous apprend que son unité est le J.s. Une rapide analyse dimensionnelle montre que sa dimension est donc [h] = ML2T-1. On appelle la grandeur physique correspondante à cette dimension une "action". D'ailleurs, Planck identifia cette constante comme le quantum d'action. Ce qui est intéressant, c'est qu'il est possible de définir une quantité d'action pour n'importe quel système physique. En comparant l'action d'un système à h, nous pourrons déterminer s'il est indispensable d'utiliser la physique quantique ou bien, au contraire, si nous pouvons nous contenter de physique classique.
Précisons d'abord la valeur de h = 6,62*10-34 J.s. C'est absolument microscopique! Une remarque: les physiciens utilisent plutôt une valeur réduite de h, qu'on nomme h-barre, notée ℏ et qui vaut ℏ = h/2π. Ca ne change rien au caractère microscopique de la chose, mais ça simplifie les calculs en virant les π qui trainent partout. Essayons donc de calculer l'action de quelques systèmes pour en déduire la qualification de "quantique" ou non.
Considérons l'exemple classique d'une montre. Calculons en USI son action. Sa masse est de l'ordre de 10-3 kg, sa taille de l'ordre de 10-2 m et prenons un temps typique d'une seconde. L'action correspondante est donc de l'ordre de 10-7, soit environ 1027 ℏ... Manifestement, une montre n'est pas un objet quantique!
Voyons maintenant un exemple un peu plus compliqué, celui de l'atome d'hydrogène. Son énergie d'ionisation est d'environ 13,6 eV soit 2*10-18J. Pour estimer son action, nous utiliserons sa pulsation ω que l'on tirera de sa longueur d'onde spectrale typique (10-7 m). Nous obtenons ω = 2*1016 s-1. Soit une action = E/ω = 10-34. Cette action est du même ordre de grandeur que ℏ. L'étude de l'atome requiert le recours à la physique quantique!
Le tableau ci-dessous donne quelques ordres de grandeur, en calculant la grandeur pa/h, où p est la quantité de mouvement du système et a la largeur de la fente virtuelle de diffraction, le tout en USI:
Système | Masse (kg) | Vitesse (m.s-1) | Dimension (m) | pa/h |
Homme passant une porte | 70 | 1 | 1 | 1034 |
Hématie dans un capillaire | 10-16 | 10-1 | 10-4 | 1011 |
Electron dans un nano-fil | 10-30 | 106 | 10-8 | 102 |
Electron dans une fente | 10-30 | 500 | 10-6 | 1 |
On constate rapidement, que les effets quantiques seront totalement négligeables dans les deux premiers cas, mais qu'ils seront prédominants dans les deux derniers. En effet, pa/h représente le rapport de l'action du système et de la constante de Planck. Plus ce rapport se rapproche de l'unité et plus les effets quantiques sont prédominants.
On peut aussi évaluer la longuer d'onde associée au système et la comparer aux dimensions du système. Si les ordres de grandeur sont les mêmes, il faut utiliser la physique quantique. C'est ainsi que l'on peut vérifier que la mécanique classique suffit pour étudier la collision de deux noyaux, alors qu'une première intuition laisserait penser qu'il faille utiliser la mécanique quantique.
Attention toutefois, les méthodes exposées ci-dessus peuvent être prises en défaut !Par exemple, pour expliquer le comportement d'un litre d'hélium superfluide sur la paillasse du laboratoire, il faut sortir l'arsenal quantique. De même, pas d'explication classique à la notion de semi-conducteur ou supra-conducteur, dont les dimensions physiques peuvent être considérables (voyez les bobines des détecteurs du LHC !). Sans parler d'une étoile à neutrons, dont l'existence ne peut s'expliquer que par des mécanismes quantiques ...
Pour conclure, j'ai envie de reprendre quelques mots de la leçon 2 de mécanique quantique de Jean-Louis Basdevant. Je le cite:
l'atome n'est pas schizophrène, ce n'est ni une onde, ni un corpuscule au sens classique, ce sont nos idées, nos mots, nos rêves, nos têtes qu'il faut changer. L'atome est un être quantique à part entière. La description de son état se fait par une fonction d'onde ou amplitude de probabilité qui évolue de façon bien déterminée dans le temps.
et enfin
Il est complétement faux de parler de "dualité" onde-corpuscule en sous-entendant que la physique est tantôt l'une tantôt l'autre. Nous venons de voir des états où le même objet physique apparaît sous des formes proches de l'une ou l'autre de ces limites. Mais il y en a beaucoup d'autres ! On sait fabriquer expérimentalement des états quantiques bien définis qui ne sont ni onde, ni corpuscule.
Qu'ajouter de plus ?
J'aimerais quand même, pour finir, vous recommander la lecture d'un document du ministère de l'éducation nationale, fort intéressant, qui reprend certains points mentionnés ci-dessus en les complétant. C'est à mon avis une bonne base pour prolonger l'étude de ce problème intéressant sur les origines de la mécanique quantique.
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