Décroissance radioactive

La physique de la décroissance radioactive

La compréhension du phénomène de décroissance radioactive est indispensable pour saisir le cours de physique nucléaire de TS. Je ne vais pas revenir dans cette page sur les notions de base que vous retrouverez dans votre manuel de physique. Je voudrais plutôt aborder les données expérimentales qui ont conduit au choix du modèle que l'on présente d'habitude en cours et analyser ce modèle. Bien sur, j'aborderai aussi sa simulation à l'aide d'un programme Scilab.

Le constat expérimental

Je vous propose de partir de l'expérience la plus commune dans les lycées dans ce domaine : la décroissance d'une population de noyaux de radon 220, sous forme gazeuse. Selon le protocole standard, on dispose d'un peu de radon dans une fiole scintillante (i.e. dont les parois sont recouvertes de sulfure de zinc, qui transforme l'énergie des particules émises lors de la désintégration des noyaux en lumière), fiole que l'on dispose devant un photomultiplicateur. Ce dernier permet le comptage des éclairs lumineux et donc (aux incertitudes près) le comptage des particules issues de la désintégration, des noyaux d'hélium en l'occurrence car le radon 220 est un émetteur alpha.

Exécutons une expérience assez courante en TP de physique de TS: je dispose donc ma fiole de radon 220 dans un appareil muni d'un photomultiplicateur et je compte le nombre de désintégrations, disons pendant 5 secondes toutes les 10 secondes. Ces deux temps dépendent de la nature de l'émetteur (de sa demi-vie en fait), et les valeurs proposées sont compatibles avec la demi-vie du radon 220. Voilà un tableau de résultats issus de cette manip:

T (en s) 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 110 120
Nb désintégrations 6145 5470 4825 4210 3750 3345 2955 2605 2260 2015 1795 1575 1390

J'ai glané ces résultats sur le net, car je n'ai pas de radon 220 sous la main ! Je n'ai pas d'information sur les incertitudes de mesure de cette manipulation en particulier, mais je connais assez bien le process pour dire qu'elles sont relativement négligeables.
Avant de continuer, il ne serait peut être pas inutile de définir la grandeur physique nommée "Activité moyenne", qui caractérise un émetteur donné et qui est égal au nombre moyen de désintégrations par unité de temps. L'activité s'exprime en becquerel (Bq), un Bq correspondant à une désintégration par seconde. C'est une fonction du temps: on constate immédiatement sur le tableau ci-dessus qu'elle décroit avec le temps.
Nous voilà donc devant un phénomène physique dont nous ne connaissons pas le mécanisme mais dont l'expérience nous livre une caractéristique importante. Qu'ont fait les physiciens qui sont tombés les premiers sur ce phénomène, en l'occurrence Rutherford et Soddy en 1903? Qu'allons-nous faire?
Première chose, tenter quelques manip supplémentaires pour étayer les résultats. C'est ainsi qu'on constate que le phénomène est absolument insensible à la température, à la pression ou à toute autre condition environnementale. On constate également que tous les corps ne présentent pas ce comportement: si je dispose de l'eau dans la fiole, je n'enregistrerai pratiquement aucune désintégration (moins d'une dizaine de Bq par litre).
Puis tracer une courbe et essayer d'en dégager une loi. Nous avons aujourd'hui des outils, calculatrices, ordinateurs, qui font ça immédiatement et facilement. Voyons la courbe que Scilab propose pour les mesures indiquées ci dessus:

RadioactivitéC1

A priori, ce n'est pas une décroissance linéaire! Donc, pour trouver une fonction qui approche cette courbe, pas question d'utiliser la régression linéaire (méthode des moindres carrés). Vu la forme, je vais donc tenter une régression exponentielle... Et donc je vais encore faire appel à Scilab.
Ah oui, la méthode que j'utilise dans le programme est totalement hors programme! Mais il y a une astuce pour se ramener à une régression linéaire en travaillant sur ln(N) au lieu de N! Voyons ce que cela donne:

RadioactiviteCourbe2

J'ai donc une courbe de régression (en rouge) N = a*exp(b*t) qui colle parfaitement ou presque avec ma courbe expérimentale (en bleu)! Et Scilab me dit (sur la fenêtre console du programme) que a vaut 6169 et que b vaut -0.0124.
Mais que sont donc a et b? Pour nous aider, il faut faire appel à l'analyse dimensionnelle et aux conditions initiales:

Et j'obtiens donc finalement l'expression :

N(t) = N0*exp(-λ*t)

Attention! J'ai obtenue cette expression par un calcul statistique sur des mesures (la régression exponentielle est une méthode statistique). Pour le moment, rien ne me prouve que cette fonction soit justifiée sur le plan physique! Ce que je sais, c'est qu'elle décrit bien mes résultats.
Le programme qui permet de tracer ces courbes est téléchargeable ici.

Le caractère aléatoire de la désintégration nucléaire

Il y a une autre approche possible pour modéliser le phénomène de désintégration d'un noyau. Pour cela, on va poser des hypothèses de travail, résultantes d'observations expérimentales:

Je ne vais pas rentrer dans le détail (je tiens la démonstration à la disposition de ceux qui la veulent!), mais on démontre que la loi de probabilité qui décrit le nombre de noyaux qui se désintègrent entre les instants 0 et t, t fixé, est une loi binomiale B(n p) où n = N(0) et p = F(t) = (1 – e-a*t).
L’espérance de cette loi est p= N(0)(1 - e-a*t). C’est aussi N(0) – N(t) car N(t) est le nombre moyen de noyaux présents à l’instant t :(1 - e-a*t) d'où:

N(t) = N0*exp(-a*t)

Si l'on pose a = λ, on reconnait la fonction que nous avons trouvé en faisant la régression exponentielle sur nos mesures!

On peut donc en déduire qu'il y a de fortes chances pour que le processus de désintégration soit un processus probabiliste, dit "poissonnien". La mécanique quantique le confirme d'ailleurs...

Etablir la loi de décroissance radioactive

Après la régression exponentielle et l'analyse probabiliste de la désintégration radioactive, passons au calcul différentiel. C'est sans doute la manière de découvrir la loi de décroissance que l'on vous a présenté en cours de physique en TS.
Revoyons nos données expérimentales. Nous constatons que:

Ecrivons ces constatations en langage mathématique. J'obtiens: dN = -λ*N*dt, soit encore :

dN/N = -λdt

λ est le coefficient de proportionnalité, que je n'ai pas par hasard choisi d'appeler comme ça... Le signe moins indique la décroissance constatée expérimentalement.
Que faire de cette expression pour avancer? Le réflexe du mathématicien est de faire tendre le rapport dN/dt vers 0 pour établir une équation différentielle.
Faisons une petite digression à ce propos. Considérons par exemple le rubidium 87. Sa demi-vie (le temps au bout duquel une population donnée de noyaux a diminué de moitié) est de 48 milliards d'années! Autant dire qu'en un an ou une seconde, le nombre de désintégrations sera souvent nul! Alors que dire de ce nombre lorsque on fait tendre le temps de mesure vers 0! Par contre, si je travaille avec sur une population de mésons pi, dont la demi-vie est de l'ordre de 10^-8 secondes, il faut vraiment choisir une fenêtre de mesure très très petite... la notion "faire tendre vers 0" n'a donc pas du tout la même signification en math (on travail sur de l'abstrait) et en physique, où nous travaillons avec les contingences de la réalité physique!
Avec ces considérations en tête, je vais différentier l'équation précédente pour obtenir dN/N = - λdt. En intégrant les deux membres, celui de gauche entre N0 et N et celui de droite entre 0 et t, j'obtiens ln(N/N0) = - λt. Bien sur, vous avez tous reconnu la forme maintenant bien connue N/N0 = exp(-λ*t) soit:

N = N0*exp(-λ*t)

Nous retrouvons la loi de décroissance exponentielle d'une population de noyaux radioactifs, modèle qui colle aux données expérimentales présentées ci-dessus. Reste à identifier les explications physique qui produisent un tel modèle. C'est le rôle de la mécanique quantique, ce qui n'est pas notre objet ici.
A partir de cette loi, nous pouvons définir les caractéristiques d'un noyau radioactif ou d'une population de noyaux:

On peut s'amuser à comparer les résultats obtenus à partir de nos mesures avec les résultats des tables officielles pour le radon 220:

Le programme Scilab

Procédons maintenant à une résolution numérique de l'équation de la décroissance radioactive. Elle est d'une banalité consternante! Nous utiliserons comme d'habitude le solveur ode() de Scilab, sur cette équation du premier ordre très sage.
Je vous propose donc un petit programme téléchargeable ici, qui vous permettra de tracer n'importe quelle courbe de décroissance radioactive en indiquant la population initiale en noyaux et la constante de désintégration. Il vous indiquera également dans la fenêtre console de Scilab la demi-vie de votre noyau.
Voici un exemple de courbe, correspondant aux paramètres de notre manip (N0=6145, λ=0.0125 s-1, t=120 s):

RadioactiviteCourbe3

La demi-vie calculée est de 55,45 secondes.
Vous pouvez utiliser ce programme et cette loi pour n'importe quelle particule instable, que sa demi-vie soit de 10-10 s ou bien de 1020 s, ce qui est d'ailleurs assez intriguant! C'est à peu près la seule loi de la physique qui couvre une telle gamme d'ordres de grandeur en conservant sa validité!


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