Quel élève négligent ou inattentif n'a pas perdu un point (ou plus) dans un DS de physique, pour avoir donné un résultat numérique sans unité, au mépris de toutes les recommandations assénées par son prof de physique à longueur d'année ? Qui ne s'est jamais entendu dire: "Vérifiez vos résultats, votre équation n'est pas homogène!" ? Pourquoi les unités et cette "homogénéité" des équations sont-elles si importantes en physique?
Parce qu'une grandeur physique n'est pas un simple nombre mathématique ! Parce que le résultat d'une mesure ou d'un calcul non accompagné de son unité n'a pas de signification en physique !
Par définition, une grandeur physique résulte d'une mesure. Elle décrit une propriété de la matière ou de l'espace-temps. Les propriétés fondamentales de notre univers sont décrites qualitativement par leur "dimension" : la masse, la longueur, le temps et quelques autres.
Dans cette page, je vais aborder ces notions, qui me semblent fondamentales, et qui sont pourtant trop rapidement survolées dans le programme de physique du lycée et même de prépa.
Imaginons un cylindre de matière. Il possède des propriétés évidentes : le matériaux dont il est constitué, sa hauteur, son diamètre, sa masse, sa dureté, etc.
Enoncées comme ça, il s'agit de propriétés qualitatives. Ces propriétés deviennent des grandeurs physiques si elles sont mesurables. L'opération de mesure d'une grandeur consiste à la comparer à une grandeur étalon. Par exemple, pour mesurer la hauteur du cylindre, on utilise une règle graduée qui permet de déterminer le nombre de graduations correspondant à la hauteur. Chaque graduation représentant une longueur conventionnelle (par exemple 1 cm), on quantifie ainsi la propriété "hauteur".
Il existe des propriétés non quantifiables, faute d'étalon. Je peux trouver ce cylindre beau, mais je serais incapable de quantifier cette beauté. La beauté n'est pas une grandeur physique (heureusement, sauf pour certaines particules - private joke de physicien).
La mesure d'une grandeur physique consiste donc à quantifier une propriété en lui associant une grandeur mathématique, la mesure, et une unité qui dépend de l'étalon. Une grandeur physique peut ainsi être scalaire, si la mesure associe un nombre réel à cette grandeur (par exemple la masse), vectorielle (un champ électrique) ou même matricielle ou tensorielle. Nous parlerons des unités plus loin.
Certaines grandeurs physiques, caractéristiques d'un phénomène ou de la matière, sont vite apparues comme fondamentales: la longueur, la masse, le temps.... Les physiciens ont donc été conduits à définir des grandeurs fondamentales, desquelles découlent toutes les autres grandeurs. On les appelle les "dimensions de base", à ne pas confondre avec la notion mathématique de dimension (bien qu'il y ait un certain rapport), ni avec les dimensions d'un objet (10cm x 15 cm par exemple), caractéristiques que l'on nomme "extension" en physique théorique pour éviter les confusions. Cette boite est de dimension 3 (dans l'espace euclidien classique) et d'extension 1mx0.5mx0.5m.
On définit classiquement 7 dimensions de base. Ce sont:
Il faut toutefois noter que seules les quatre premières sont vraiment fondamentales. On peut en déduire les trois autres ! C'est Giorgi qui a montré que la température, l'intensité lumineuse et la quantité de matière dérivaient des quatre premières grandeurs. Plus fort, on peut montrer en utilisant les lois de l'électricité (Coulomb) que l'intensité électrique peut s'exprimer en fonction des trois premières grandeurs. Encore plus fort, en 2003, Mike Duff a montré que l'on pouvait se contenter d'une seule grandeur : la masse (par la relation de Planck-Einstein) - voir ici pour plus de détails.
Je vous propose toutefois de nous en tenir aux 7 dimensions "classiques" qui sont la base du système international (SI)...
Voyons à travers quelques exemples, comment exprimer la dimension d'une grandeur physique:
Vous avez sans doute remarqué qu'on obtient la dimension d'une grandeur en partant de sa définition physique. Pour établir la dimension d'une grandeur, mieux vaut donc savoir en poser la définition.... D'autres exemples un peu plus compliqués
On pourrait ainsi passer en revue toutes les grandeurs physiques que vous connaissez! Je crois que vous avez compris le principe: trouver une définition de la grandeur à partir de grandeurs de base, puis faire le calcul dimensionnel.
Une remarque qui aura son importance dans la suite: imaginez un paramètre qui soit le rapport de deux mêmes grandeurs physiques, par exemple un rapport de proportionnalité de longueurs. Vous remarquerez vite en appliquant la technique ci-dessus que la dimension de ce paramètre sera égale à 1. On dit que ce paramètre est adimensionné, sa dimension vaut 1.
Détails pratiques d'écriture:
On démontre que la dimension d'une grandeur physique g quelconque peut s'écrire sous la forme du produit des 7 grandeurs de base Gi, chacune de ces grandeurs étant affectée d'une puissance αi pouvant varier entre 0 et n (n appartenant à Q), ce qui se symbolise par: [g] = PGiαi
Nous avons vu des exemples plus haut de cette écriture. Elle est très utilisée en analyse dimensionnelle pour déterminer la dimension d'une grandeur à partir de la dimension d'une grandeur connue. L'équation nous ramène à la résolution d'un système généralement très simple. Nous en verrons un exemple plus loin.
Nous venons de voir la notion de dimension, qui caractérise physiquement une grandeur. Si je reprends le cylindre du début de l'exposé, je sais maintenant que la dimension de sa hauteur [h] = L. Mais cela ne me donne aucune indication quantitative sur cette longueur. Il faut pour cela la comparer avec une longueur étalon, c'est le processus de mesure. C'est un point très important à retenir : la mesure est une comparaison à un étalon. Il n'existe pas de référence absolue en terme de mesure!
Lorsque vous mesurez la hauteur du cylindre, vous utilisez généralement une règle graduée. La mesure de la hauteur, ou par abus de langage la hauteur, résulte du nombre de graduations qui correspondent à la hauteur du cylindre. Une graduation de cette règle constitue une unité de longueur.
Mais quid du choix de cet étalon? Et bien, il est à la discrétion de chacun! Historiquement, ce fut des parties du corps humain: le pied, le pouce, l'avant bras, ou alors la journée de cheval et j'en passe. Un vrai bazar!
Aux USA, il y a de bonnes chances que votre règle soit graduée en pouces. En France, elle sera graduée en centimètres. Et donc je dirai que la hauteur de mon cylindre mesure 12 pouces ou 30 cm (à peu près). Et encore, je prends là des cas simples!
Pour mettre un peu d'ordre, les physiciens ont défini un système international, le SI, dont l'usage est en principe obligatoire. Ce système définit, à partir de phénomènes physiques, une unité pour chaque dimension de base:
Je vous encourage à découvrir les étalons de référence de chacune de ces unités sur le site du BIPM.
Le choix d'un système d'unités peut être aussi une occasion de se faciliter la vie. Dans certains cas, il est très commode de choisir une unité appropriée à son activité. Par exemple, en physique des particules, mesurer l'énergie d'une particule conduit à des résultats dans lesquels on trimbale une flopée de puissances de dix! Le Joule, unité SI n'est pas très approprié (rappel : 1 eV vaut environ 1,6*10-19 J). On emploie plutôt l'électron-volt et ses multiples (keV ou MeV). De même pour l'extension d'une particule, le rayon d'un noyau exprimé en mètre (unité SI) est assez risible! On préfère travailler en fermi (10-15 m)...
Pour les devoirs, les exam et concours et les publications (en théorie..) vous devez utiliser le SI. Dans le boulot, vous pourrez utiliser le système d'unités que vous voudrez! A condition de le faire savoir et de ne pas vous planter, car on a vu beaucoup de problème avec ça (dernièrement, une sonde martienne qui se plante!).
Un point fondamental à retenir : une grandeur physique est caractérisée par sa dimension (caractéristique qualitative) et sa mesure (caractéristique quantitative). Une mesure est formée par un nombre (généralement un réel) et une unité. L'unité est indispensable! Exprimer le résultat d'un calcul ou d'une mesure sans unité est une faute grave. Imaginez que l'on vous dise "vous êtes à 10 de chez moi": 10 quoi ? Minutes, km, pâtés de maisons? Vous seriez bien avancés !
L'analyse dimensionnelle (AD) a été introduite par Reynolds en 1883 pour traiter des problèmes d'hydrodynamique. Les nombre de Reynolds sont des exemples classiques de paramètres physiques sans dimension. L'hydrodynamique et plus particulièrement l'étude des équations de Navier-Stokes reste d'ailleurs une des branches de la physique la plus consommatrice d'AD.
L'AD est l'étude d'un phénomène physique à travers les dimensions des variables. En effet, les mathématiques et le calcul numérique ne supportent pas vraiment les dimensions d'un modèle physique. Nous l'avons dit plus haut, les maths ne manipulent que des nombres sans dimension. Exemple tout bête : l'argument d'un sinus ou d'une exponentielle n'est pas dimensionné! Le sinus de 10 secondes ou l'exponentielle de 2 kg ne signifient rien !
On verra également plus loin que l'AD permet de contrôler l'homogénéité d'une formule et donc son exactitude (aux coefficients adimensionnés du moins!).
De manière très générale, on utilisera l'AD en physique pour adimensionner nos équations, de telle sorte qu'il nous soit possible de les calculer par un schéma de calcul numérique.
Pour l'essentiel, l'AD s'appuie sur le théorème de Buckingham (ou théorème PI), qui dit:
Soit un modèle physique décrit par n variables liées par une relation R. Si les dimensions de ces n variables font intervenir exactement m grandeurs fondamentales (celles décrites ci dessus), alors la relation R peut être exprimée à l'aide de n-m paramètres sans dimension
Cela revient à dire qu'il est toujours possible d'adimensionner une équation de physique. Ce théorème repose aussi sur l'axiome implicite de la physique "classique" que les lois de la physique sont vraies quelque que soit l'échelle choisie, et qu'il est neutre d'étirer ou de comprimer la dimension T ou L, par exemple. C'est que l'on fait lorsqu'on pose, comme je le ferai dans la suite : x = X*xc et t = T*tc.
Pour la petite histoire, c'est cette hypothèse qui nous autorise à faire des maquettes, en particulier en aérodynamique ou en hydrodynamique. Ne vous êtes vous jamais demandé par quel miracle on pouvait considérer qu'un avion réel pouvait avoir le même comportement physique qu'une maquette au 1/100? Ce serait faux s'il n'était pas possible d'adimensionner les équations utilisées pour décrire les phénomènes physiques...
Rappelons une règle essentielle de l'analyse dimensionnelle : dans une équation, les deux membres de l'équation doivent être homogènes, c'est à dire de même dimension. C'est fondamental. De même, lorsque vous additionnez ou soustrayez deux termes, ces termes doivent être homogènes. En termes imagés de grand-mère "on n'additionne pas des torchons et des serviettes" !
A quoi cette règle peut-elle bien servir? Entre autre, à vérifier que l'on ne s'est pas trompé dans l'établissement d'une équation ! Prenons un exemple...
A la suite d'un long et pénible calcul, vous avez établi que la période d'un pendule simple T était égale à T = 2*π*sqrt(g/l), avec sqrt la racine carrée bien sur. Votre formule est-elle juste?
T, une période est de la dimension d'un temps et s'exprime en secondes. Donc le membre de droite doit être homogène à un temps. Voyons si c'est le cas... g est une accélération donc [g] = L*T-2. l est une longueur, donc [l] = L . Le terme 2*π n'a pas de dimension. Donc la dimension du rapport est [g/l] = L*T-2*1/L , soit T-2. Sa racine carrée aura donc pour dimension T-1.
Il y a un petit problème: les deux termes ne sont pas homogènes - la formule est fausse. Il fallait trouver T = 2*π*sqrt(l/g) bien sur... Refaites le calcul avec cette formule et vous constaterez que les termes sont homogènes!
Cette technique est applicable quelque soit la complexité de l'équation. Je dirais même que plus l'équation est complexe et plus l'intérêt d'en faire l'analyse dimensionnelle est grand. Cela évite bien des erreurs!
Revenons à notre pendule, et essayons d'établir l'ordre de grandeur de sa période par l'analyse dimensionnelle.
Nous savons que la physique du pendule simple (sans amortissement ni forçage) est gouvernée par sa longueur l, sa masse m et l'accélération de la pesanteur g. Nous pouvons donc supposer que les trois dimensions indépendantes de ces grandeurs interviendront dans l'expression de la période T du pendule.
Comme nous l'avons appris plus haut, nous pouvons donc écrire l'équation aux dimensions:
[T] = [l]α*[m]β*[g]γ. (1)
Nous savons que T est homogène à un temps. Nous savons aussi que la dimension de g est L*T-2. Ce qui me permet d'écrire en employant les valeurs standards des dimensions
T = Lα*Mβ*(L*T-2)γ.
Pour obtenir l'homogénéité de l'équation, j'ai donc le système:
β = 0
α + γ = 0
-2*γ = 1
Sa résolution est des plus simples. Nous obtenons α = 1/2 et γ = -1/2, ce qui reporté dans l'équation (1) donne:
[T] = [l]1/2*[g]-1/2 soit T = k*(l/g)1/2
ce qui est bien l'ordre de grandeur attendu, la constante k ne pouvant être déterminée par cette méthode !
Cette méthode est quand même assez peu triviale dans les cas un peu compliqués. Il faut bien maîtriser la physique du phénomène et pour tout dire, on n'attend pas vraiment ce genre de raisonnement de la part d'un lycéen. Il est évident que si vous présentiez ce genre d'approche en DS, votre prof. serait ébahi !
Le lien suivant vous donne 2 ou 3 exemples assez curieux de la puissance de l'analyse dimensionnelle.
Nous avons déjà employé cette méthode sur d'autres pages du site (voir par exemple la simulation de l'expérience de Rutherford ). Voyons ce dont il retourne sur un cas simple, et oh combien classique!
J'ai déjà parlé ici de l'oscillateur harmonique amorti par un frottement fluide. Je vous en rappelle l'équation différentielle, "brute de fonderie", obtenue par une application du PFD dans le référentiel idoine:
m*d²x/dt² + a*dx/dt + k*x = 0
avec m la masse oscillante, a le coefficient de frottement fluide et k la constante de raideur du ressort de rappel.
Notons les dimensions des différents paramètres : [m] = M , [a] = M.T-1 et [k] = M.T-2
Pour adimensionner cette équation, je vais mettre en oeuvre la procédure classique, à savoir:
Voilà la méthode. Voyons ce que cela donne:
m*d²x/dt² + a*dx/dt + k*x = 0
=> m*(xc/tc²)*d²X/dT² + a*(xc/tc)*dX/dT + k*xc*X = 0
=> d²X/dT² + (a/m)*tc*dX/dT + (k/m)*tc²*X = 0
Voilà ce que j'obtiens après l'application des étapes 1,2 et 3.
En application du point 4, je vais poser (k/m)*tc² = 1, soit tc = sqrt(m/k). Je note que le terme de droite a bien la dimension d'un temps, donc mon calcul est cohérent.
tcest le temps caractéristique de l'oscillateur, mais vous connaissez sans doute mieux son inverse, ω = sqrt(k/m) , que l'on appelle la pulsation propre de l'oscillateur et dont la dimension est T-1.
En réécrivant notre équation avec ces données, j'obtiens:
d²X/dT² + a/sqrt(m*k)*dX/dT + X = 0
Vous pourrez vérifier que le coefficient du terme de premier ordre de l'équation, a/sqrt(m*k),est bien adimensionné.
J'ai donc obtenu une équation différentielle adimensionnée, ce qui va me permettre de construire un modèle numérique.
Contenu et design par Dominique Lefebvre - tangenteX.com août 2015 Contact : PhysiqueX ou
Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 3.0 France.